18 mai 2021

Essai au quotidien HONDA CRF1000 DCT Africa Twin

A la fin des années 80, quand tu roules en Africa Twin tu annonces la couleur : celle de la Honda Racing Corporation (HRC). C'est un peu comme rouler en 205… Aux couleurs Peugeot Talbot Sport. Bref, ça sent la course, ça sent le sable, ça sent le Dakar. C'est in, c'est one again a fly, c'est 36 15 chébran.

 

Episode 1 : Africa Twin par Thierry EP1

Episode 2 : Africa Twin par Thierry EP2

En 1989, la toute nouvelle XRV 650 Africa Twin, dérivée du prototype NXR 750 – 4 fois victorieux au Dakar, vient donc remplacer la XLV 750 R/F évoquée dans l'épisode précédent. Look sans équivoque, gabarit imposant (pour l'époque) mais poids contenu et bi-cylindre à la puissance respectable (près de 60 cv) donnent pendant un temps l'avantage à Honda. Il faut dire qu'à l'époque le parc des concurrents est quasi-exclusivement constitué de mono-cylindres. Seule BMW propose un trail bi-cylindre, la R80 GS qui évoluera dès 87 en R100 – une moto excellente par ailleurs, mais qui souffre d'une image de marque vieillissante. L'ennemi juré Yamaha mettra un an à riposter, et même si sa XTZ 750 Super Ténéré se montrera encore plus imposante et surtout véloce, la Honda et son look rallye replica font un carton d'entrée de jeu et marquent durablement les esprits. Par la suite, elle évoluera en 750 cm3, prendra quelques kilos au passage et sera de mieux en mieux équipée. Mais les modes passent, celle du Dakar s'essouffle tout au long des 90s pour finalement connaître un gros coup de mou au début des années 2000. La reine du désert est même lâchée par le HRC qui ne propose plus de kits compé-client tandis que le géant rouge concentre ses efforts sur le motocross et la piste – coup dur pour l'Africa Twin qui perd doucement mais sûrement son potentiel rêve/aventure/sport. Alors pour continuer de séduire, elle s'embourgeoise, se cherche en routière au long-court. Mais rien n'y fait, son concept s'effrite. En 2003 Honda la remplace définitivement par celle qui partageait le catalogue avec elle depuis 1999. La nouvelle s'appelle Varadero, elle est encore plus imposante, orienté exclusivement route et surtout elle est mue par les imparables 100 chevaux du twin de la VTR 1000. Fin de l'histoire, ou pas.

2015, Honda sort un nouveau modèle de gros trail bi-cylindre : la CRF1000L. Un an plus tard elle devient CRF1000L Africa Twin. La légende est de retour à grands coups de nouveau logo, de signature-design et de vidéos virales sur les réseaux sociaux, les années 2010 quoi, je vous fais pas un dessin. Mais je dois avouer que la com' du géant rouge et surtout la cohérence visuelle de sa gamme moto sont efficaces. L'équilibre entre nostalgie et modernité fonctionne plutôt bien. Et pourtant… Je me dis que le nom Africa Twin est peu être un peu usurpé, qu'il ne sert d'autre dessein que celui de faire battre les coeurs, qu'il n'y pas ici de cordon ombilical qui relie la moto avec le monde du rallye-raid, comme c'était le cas en 1986. Mais bon, il n'y a pas de règle en la matière et le but d'un géant industriel est de vendre, alors si deux mots évocateurs peuvent l'aider, il aurait bien tort de s'en priver. Mais au delà des questions de filiation, il y a le rêve. Si les gros trails d'aujourd'hui ne surfent plus sur le Dakar comme avant c'est que l'orientation sport-compétition ne fait plus vendre. De nos jour pour devenir un best-seller, c'est sur l'aventure et le voyage au long-court qu'il faut tabler. Mais - comme auparavant - peu de motos se lanceront réellement dans une transcontinentale, donc ce que nous vendent réellement les constructeurs c'est le potentiel de le faire. Finalement les années 80 ne sont pas si loin, ce qu'on nous vend avant tout c'est du rêve, du désir, du fantasme. Ainsi chaque fois qu'on enfourche la moto, elle est censée nous propulser dans un univers alternatif où on taille la piste à la poursuite du diamant vert affublé d'une barbe de trois semaines et d'un chèche autour du cou.

Le problème avec les rêves c'est qu'ils résistent très mal à l'épreuve du quotidien. Alors tant qu'à parler d'aventure au long-court, j'ai passé cinq semaines à rouler exclusivement avec l'Africa Twin 1000 DCT. Qui pleuve, qu'il meule ou qu'il cuise, j'ai roulé. J'étais parfois équipé d'un petit sac à dos tout vide, et plus souvent chargé comme un baudet. Étant photographe indépendant, je travaille essentiellement chez mes clients, et je m'y rends équipé d'au moins deux boîtiers, cinq ou six objectifs, deux flashs, 14 paquets de piles, un carton de gaffeur, un trépied, et tout un tas de petites bricoles qui peuvent toujours servir – et ne servent jamais. Bref, je roule en break. Du coup là, j'ai dû compacter au maximum et exploiter chaque cm2 disponible sur la moto pour en faire mon destrier quotidien. Pas trop de souci de ce côté là, il y a en fait assez de place pour tout harnacher, et pour le coup l'impression de partir à l'aventure est bien réelle. Première constatation : la bécane se roule parfaitement, même chargée. Deuxième constatation : dès le premier trajet en mode c'est-ma-bécane-de-tous-les-jours je ne résiste pas à l'envie de mettre les pneus hors du bitume, je me prends vraiment pour un aventurier. Je n'ai pas eu le temps de battre la savane parce que trop pressé lors de mon premier voyage, mais maintenant que je suis dans mon fief et que je maitrise mieux mon planning, je vais pouvoir me la donner en dehors des sentiers battus. J'ai la chance d'habiter au milieu des champs, il m'est donc très facile de rouler deux ou trois kilomètres entre chemins agricoles et forestiers si j'en ai envie avant d'attaquer une vraie route, et je ne m'en prive pas parce que oui l'Africa Twin est une pousse au crime, elle donne diablement envie de le faire.

Je sors de mon allée, au lieu d'enquiller tout droit, je tourne à gauche et hop, j'enroule du câble en m'accrochant au guidon et… Ça broute. Satané antipatinage, terriblement efficace, même sur l'herbe mouillée. C'est à la fois frustrant et sécurisant. Comme je me sens un peu trop vite trop à l'aise sur cette bécane, et que je tiens plus du péquenaud que du champion de cross, il me sauvera la mise à plusieurs reprises, notamment ce jour de pluie où, pour gagner un peu de temps, je décide de prendre un chemin de traverse. Sortant de la route, je m'y engage avec un peu d'angle et à peine ai-je mis les roues dans la gadoue que la moto fait une dérobade de l'avant ! Par un reflex miraculeux j'envoie ma jambe gauche loin devant tout en accélérant, et alors que je me vois déjà finir par-terre et que ma vie se déroule sous mes yeux, la moto reprend de l'adhérence en toussant tandis que mon pied racle le sol glissant. Ce jour là, j'arrive chez mon client avec une jambe gauche qui vient de faire le Camel Trophy et une pensée amicale pour l'antipatinage HSCT. L'expérience me servira de leçon pour la suite : temps sec égale tout-terrain ; pluie égale tais toi et reste sur la route. En fait c'est juste une question de pneus, dont le profil routier avoue ses limites sur la terre ou l'herbe mouillée.

N'empêche quand un petit gué se présente à quelques mètres seulement du ruban d'asphalte, ni une ni deux, même chargé de mes outils de travail, je m'y jette debout sur les cale-pieds et grand sourire en travers du visage. On verra bien où ça mène. Seule galère à l'horizon : le poids. Non pas que la moto soit lourde à piloter, loin de là. Par contre quand on se retrouve coincé dans une impasse (bah oui, à force de jouer aux explorateurs) ou quand il est tout bêtement question de manoeuvrer à la force des mollets, les quelques 230 kg sont bien là (tous pleins faits, mais hors bagage). Du haut de mon mètre 75 (sur les pointes) il m'est tout simplement impossible de faire bouger la moto à la force des jambes sur un terrain accidenté.

Étant un photographe un peu maniaque, je suis toujours au centimètre près, alors il faut bien que je la place au poil de cul cette bécane ! Pour chaque séance photo dans la nature je suis obligé de manipuler la moto debout avec les deux mains au guidon, ou une main sur la selle et surtout en déployant toute l'étendue de ma force colossale… Ou en hélant le mycologue qui passait par là pour lui demander de l'aide. Quel que soit le cas, je puis affirmer que la mention « anti-transirant » lue sur les déodorants est mensongère. Si il est facile d'embarquer un bon gros twin, une boite double-embrayage, une flopée de capteurs et autres calculateurs, une quantité non négligeable d'essence, des renforts et protections un peu partout… Tout en gardant la ligne, il est plus difficile de tromper la balance – et mes mollets.

Je parcoure rarement moins de 60 kilomètres, souvent bien plus, dans une journée de travail. Je ne shoote pas tous les jours mais en général mon agenda de printemps est assez rempli. Les jours où je ne suis pas sur le terrain sont passés chez moi, dans mon bureau, à traiter mes images ou préparer mes futurs déplacements. Entre petits trajets urbains et déplacements plus longs, tout y passe, ville, village, campagne, autoroute, grande et petite départementale, et même communales, sans compter les escapades en chemins plus ou moins roulants, quelques fois un peu escarpés (mais ça reste soft, hein). Sans me répandre entre théorie de la relativité et mathématiques quantiques, je vais juste me contenter de vous livrer quelques chiffres :

  • Premier trajet : Pézenas – Argenton sur Creuse / environ 630 km (via Montagne Noire, Toulouse et ancienne RN20)
  • Usage quotidien pendant 5 semaines / environ environ 2.000 km
  • Trajets pro avec matos photo en Région-Centre Petits trajets quotidiens (le pain, les courses au supermarché, le pot entre amis, etc.)
  • Dernier trajet : Argenton sur Creuse – Marnes la Vallée / environ 320 km (autoroute)

Période et conditions météo : mois de mai et juin 2017 / quelques températures négatives les premiers matins, pas mal de pluie aussi, mais le beau temps s'est vite imposé pour finir à plus de 30°C les derniers jours. 

Vitesse moyenne sur toute la durée de l'essai : 64 km/h. 
Consommation moyenne sur toute la durée de l'essai : 5,7 L/100 km

  • Mode de conduite :    D à 85%, sinon S3 pour s'amuser un peu (le mode S est étagé de 1 à 4)
  • Usage fréquent des palettes au guidon, surtout pour rétrograder
  • Antipatinage déconnecté une seule fois pour faire gratter l'arrière. Voilà je l'ai fait, je suis content, le reste du temps j'ai fait avec et c'était très bien comme ça.

En conclusion, la mécanique est très sympa, l'impression de puissance est bien présente, c'est un moteur qui à défaut d'être explosif allie souplesse (merci la boîte DCT) et comportement joueur. Un gros bon point pour le tableau de bord, hyper complet et très lisible. À l'instar d'une BMW GS, l'Africa Twin 1000 est une moto fabuleusement polyvalente. Sa prédisposition génétique au grand voyage en fait une espèce d'utilitaire-fun qu'on en finit pas de charger et qui reste capable de distiller rêve et sensations de conduite au quotidien sur à peu près n'importe quel terrain. Seule ombre au tableau, à mon humble avis, le poids. Sans cette satanée gravité, c'était le sans faute tant la moto est versatile, facile et performante. Toute la science de Honda en matière de partie cycle permet de faire oublier les méchants kilos dès les premiers tours de roues, tant qu'on avance tout va bien. Mais quand il est question de reculer ou manoeuvrer, ça se complique.

Dommage mais compréhensible vu le niveau d'équipement embarqué. Ce problème de poids est toutefois beaucoup moins gênant en usage routier / urbain, et la hauteur de selle étant facilement réglable il est toujours possible de grappiller quelques centimètres pour avoir plus d'appui et de force. Mais pour être franc, à part pour tester le réglage, je n'ai pas touché à la hauteur de selle. Au delà de la question de l'aptitude au TT, ce point de vue élevé sur la route est un réel avantage dans toutes les situations du quotidien. Quelle que soit la route et le trafic, on surplombe. C'est un vrai gage de sécurité, que j'ai particulièrement apprécié en arrivant aux abords de la capitale à l'issue de ma dernière semaine de d'essai… ÉÉÉéééh oui, il a fallu que je la redonne au géant rouge mon Africa Twin. Pour la garder, j'aurais dû signer un chèque de 15.689 € (Africa Twin 1000 DCT  + Pack Travel). C'est dans le ton par rapport à une concurrence qui offre souvent plus d'équipements (gamme BMW GS, mais beaucoup sont en option) ou de puissance (Yamaha Super Ténéré) mais aussi des motos (encore) plus lourdes et moins orientées TT.

Entre ses qualités dynamiques et son profil plus léger et sportif, l'Africa Twin 1000 occupe une place à part dans le paysage, ce qui en fait une alternative de choix pour qui ne souhaite pas rouler sur une moto trop imposante, veut pratiquer un peu (plus) la moto verte – moyennant une monte pneumatique plus adaptée, tout en ne sacrifiant pas le potentiel voyage / aventure, le tout sur une moto capable de vous emmener au boulot en costard en vous donnant du plaisir à chaque virage. Excusez du peu. Mais est-ce que tout cela fait de l'Africa Twin la digne héritière de son nom. Là je suis plus mitigé. Interruption de carrière, renaissance dans un ensemble de solutions techniques très éloignées de l'originale et enfin manque de référence à la compétition font qu'à mes yeux, cette CRF1000L Africa Twin s'inscrit plus dans la mouvance actuelle et la logique commerciale que l'hommage à la légende. Mais franchement, est-ce bien important ? Africa Twin ça sonne bien, point. Alors au lieu de faire mon vieux réac', je préfère dire bravo à Daniele Lucchesi pour son travail sur la cohérence visuelle de la gamme et surtout son coup de crayon. Perso, je trouve que cette Africa Twin est une belle moto qui donne envie de rouler quand on la voit, impression qui se confirme une fois qu'on est dessus. Alors tais toi, roule et basta !

Thierry Vincent 

Texte, photos statiques, reportage : Thierry Vincent : www.thierryvincent.com

Photos dynamiques : Corentin Azamoun Photographe

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