09 octobre 2020

La véritable histoire du Buggy Jules EP1

Cela faisait longtemps que l'on voulait revenir sur l'histoire du Buggy Jules de Thierry de Montcorgé sur Road-Story. Alors pourquoi ne pas s'adresser directement à son concepteur? Et pour faire ça bien, nous avons confié cet article à Jeff de l'excellent site Dakardantan, spécialiste des premiers Dakar. Cet article est donc réalisé en partenariat avec eux. 

On vous a déjà raconté en détails la véritable histoire de la Rolls Jules du Dakar 1981 et de son talentueux concepteur, Thierry de Montcorgé. Cette aventure, peut-être l’une des plus marquantes de l’histoire du Dakar toutes éditions confondues, est d’abord un véritable exploit technique (et non pas comme on peut parfois lire une carrosserie de Rolls sur un châssis de Toyota), mais surtout le résultat d’une formidable histoire humaine et d’amitié entre Michel Mokrycki , Jean-Christophe Pelletier, Marc Fleury et Thierry.

Retrouvez le podcast audio de cet article 

En ces débuts d’années 80, l’aventure avec un grand A est le maître mot. Les rallye-raids sont donc un prétexte au dépassement mécanique, mais d’abord et avant tout au dépassement humain. Dans cet esprit-là, un australien, Wylton Dickson, veut lancer une nouvelle course, encore plus difficile et plus longue que le Paris-Dakar, le «Pékin-Paris Motoring Challenge ». (Dickson n’est pas un inconnu puisqu’il a déjà organisé plusieurs rallyes dont le «Londres-Sahara-Munich» ou bien le «Londres-Sydney», entre autres). Le concept est simple, rallier les deux capitales à travers l’Union Soviétique et l’Europe par des pistes quasiment inconnues et dans des contrées jusque-là fermées et inexplorées. 

Il faut savoir que cette course a déjà existé et pourrait d’ailleurs être considérée comme le tout premier rallye-raid automobile ayant jamais existé.

En effet, en 1907, un aventurier français, Eugène Lelouvier, et le journal « Le Matin » décident d’organiser pour la première fois un fabuleux raid en automobile, « le Paris-Pékin ». La nouvelle est annoncée par le journal qui en trace les grands traits. A l’annonce de l’évènement, près de 60 concurrents sont intéressés, mais au final,  il n’y aura que 5 véhicules qui y prendront part ! La course, puisque c’en est bien une, verra finalement son sens modifié pour devenir un « Pékin-Paris », afin de permettre une plus grande communication à l’arrivée ! Près de 16000 km à travers la Chine, la Mongolie, l’empire Russe et l’Europe sur des chemins qui n’avaient jusque-là pour la majorité d’entre-elles jamais vu une seule automobile ! L’histoire retiendra que 4 voitures finiront et que c’est un équipage italien, le prince Scipion Borghese, son mécanicien Ettore Guizzardi  ainsi qu’un journaliste Luigi Barzini, qui va l’emporter sur une ITALA, spécialement conçue pour le raid !

Quand Thierry de Montcorgé entend parler de ce rallye (les premières rumeurs datent de fin 1981 !!), il n’a qu’une envie, c’est de faire partie de ces doux aventuriers qui seront du voyage, comme au début du siècle ! L’idée est géniale, et l’envie de nouveaux défis et nouvelles aventures le séduisent.
Pour Thierry, cette aventure demande un véhicule nécessairement adapté aux contraintes de ce nouveau défi. Des étapes longues, peu de moyens de trouver des pièces spécifiques sur places, des moyens d’approvisionnement compliqués avec les difficultés diplomatiques des pays, une assistance compliquée…bref, cette nouvelle course n’est pas vraiment un Dakar et il lui faut donc un concept différent de la Rolls construite en 81. Néanmoins, l’expérience accumulée tout au long de ses participations au Dakar sera forcément utile !

Thierry va ainsi conserver tout ce qui lui semble indispensable et concevoir un projet spécifique et adapté à ce Pékin-Paris.
Dans les choses immuables, il y a bien-sûr Dior et Jules, déjà partenaires en 81. Thierry expose le concept de ce nouveau projet, la maison le suit complètement dans cette nouvelle aventure. Les relations de confiance tissées entre Thierry et Dior font qu’il suffit d’un rendez-vous pour conclure le partenariat.


Dans les choses que Thierry va un peu changer, c’est sa façon de travailler. En effet, Thierry va s’engager seul sur ce chantier de conception et de création de véhicule, quasiment de A à Z… Pour toutes les phases de cette construction, que ce soit la réalisation des croquis, le dessin du véhicule, la fabrication du master à échelle réduite puis à échelle 1, la réalisation du moule puis de la carrosserie, puis toute la partie mécanique de l’engin, Thierry se lance dans un chantier de Titan ! (il reconnaitra plus tard que ce fut sûrement une erreur, car il finira épuisé de cette travail de Titan et la relation « affective » qu’il aura avec le véhicule n’égalera jamais celle qu’il a avec la Rolls…)

Pour répondre au plus près des contraintes d’un Pékin-Paris, Thierry va créer un véhicule tout droit sorti de son imagination. Celui-ci sera encore différent de ses précédentes créations puisque De Montcorgé va concevoir une voiture… à 6 roues !
D’abord, parce que ça donne un look de dingue et que c’est juste magnifique.

Mais si Thierry est un excellent designer, son travail s’appuie également sur les impératifs d’un tel rallye. Ce véhicule 6 roues sera également un véhicule auto-suffisant, un véritable magasin de pièces de rechanges ambulant, permettant réparations et changements de pièces en ponctionnant directement des pièces sur la voiture. Cahier des charges personnel, 20 min pour interchanger un pièce !
Ainsi, le véhicule sera un 4x4 avec deux essieux arrières, le premier moteur et le second simplement porteur mais identique aux deux autres ! Les porte-moyeux, les étriers de freins, les triangles de suspensions, les arbres de roues seront autant de pièces identiques et interchangeables en cas de besoin ou de rupture d’un quelconque organe. Comble de l’ingéniosité, il va même construire des pièces avec des degrés de résistance moindre comme les tirants de suspension afin de les faire se casser en cas de gros choc mais préserver l’ensemble du véhicule ! Ces pièces « fusibles » seront celles qu’il emportera en quantité plus importante pour gérer son assistance !


Le châssis quant à lui sera un treillis tubulaire, la mécanique un Chevrolet V8 (comme celui de la Rolls qu’il connaît bien) et la carrosserie en Kevlar…
Voilà pour le concept général…
Mais bien sûr, Thierry part ….de rien ! Pas grave, il a un peu de temps (le rallye devrait partir dans 18 mois, puisque d’abord prévu pour juin 82, il a été reporté), il peut donc concevoir le véhicule de ses rêves et lui donner vie. 
Après quelques esquisses, Thierry va finalement s’arrêter sur un véhicule au look futuriste, qu’on pourrait croire issu d’un film d’anticipation, une espèce de Pick-up profilé à moteur central (le côté pick-up pour pouvoir y poser une tente afin de dormir tranquillement sur l’arrière de la voiture) ! Mad Max aurait adoré ! On verra par la suite que l’engin sera noir nacré, les couleurs du sponsor Jules, rajoutant un touche impressionnante, mais qu’un projet avec la déco de la Rolls a existé !!!

Une maquette à une échelle 1/8 est réalisée et pour la première fois, le véhicule passe de la planche à dessin au volume. Thierry se retrouve maintenant devant une nouvelle étape, le construction en elle-même.
Deux grands axes composent ce chantier, la réalisation de la partie carrosserie (avec master, moule et carrosserie en kevlar) et toute la partie mécanique avec la construction du châssis tubulaire, l’implantation de la motorisation et transmission, plus …tout le reste.



Plus d’un an sera consacré par Thierry à ces deux phases, comme on l’a déjà dit, principalement seul. Un travail qui au début est générateur d’émotions et d’envies pour lui, mais qui le temps avançant, devient une charge de travail énorme et complètement énergivore.


Des images valent mieux qu’un long texte, mais en ce qui concerne la réalisation de la carrosserie, faite en un seul morceau afin de gagner en rigidité, il lui a fallu construire un master à base de coupes transversales de contreplaqués. Le tout sera recouvert de plâtre avant d’être moulé . La carrosserie sera ainsi réalisée en Kevlar. Thierry veut comme pour la Rolls construire un ensemble indéformable de type « Bulletproof ». Il reconnaîtra que au final, il a fait une « peau » trop épaisse «  et surement aussi un peu trop lourde, ce qui aura quelques conséquences, mais il fallait absolument que la voiture « tienne »…

D’un autre côté, il s’engage dans la réalisation d’un châssis tubulaire destiné à recevoir en position centrale arrière le fameux moteur Chevrolet V8  5,8l de 370cv et d’un couple exceptionnel, collé à une boite de Porsche 930 4 vitesses et une prise de force pour permettre à l’engin de devenir un 4x4.
Le carter de boîte est une pièce d’orfèvrerie à elle seule. Dessiné par Thierry lui-même, il confie le plan à Jean-Jacques Boistay, un de ses amis orfèvre en précision mécanique.   Il lui faudra plus de 40 heures d’usinage à partir d’un bloc unique pour être finalisé ! 

Un désenclencheur mécanique permet de passer de 2 en 4 roues motrices , de même que des différentiels entièrement vérouillables permettent de transmettre la motricité sur les roues au choix en fonction des besoins !
L’embrayage, d’origine Chevrolet, est lui aussi est renforcé, deux énormes réservoirs d’essence de plus de 150l chacun (avec des mousses type aviation dedans pour éviter les transferts de masse) courent dans les flancs de la voiture pour un meilleur équilibre, et le freinage est confié à 6 freins à disque ventilés, identiques, on sait maintenant pourquoi.
Les jantes magnifiques seront des American Wheels directement cherchées aux USA et elles seront chaussées de BF Goodrich. 

Thierry, qui part dans l’optique de rouler plus de 16000 km dans la voiture soigne tous les points importants liés au confort de l’habitacle. Les sièges baquets sont en velours côtelé et coton véritable afin d’éviter les allergies, le tableau de bord est composé de compteurs VDO de type aviation avec cerclage aluminium. Pour rajouter à la lutte contre la fatigue, Thierry a même monté sur la voiture une pompe d’aérateur de cale de bateau avec une prise d’air qui mettait l’habitacle sous pression constante (1000l d’air/min !). Pendant le rallye, Thierry nous expliquera que pas un seul gramme de poussière ou de sable ne pouvait rentrer et qu’il finissait les étapes avec un tee-shirt blanc immaculé, laissant les observateurs pantois … et envieux!

Thierry va donc construire et assembler l’ensemble de sa voiture, utilisant de temps en temps quelques pièces d’autres constructeurs (les feux arrière sont des feux de Fiat retaillés, ceux de l’avant proviennent d’une Ami 8, le radiateur de chez Chausson et le pare-brise a été emprunté à une….CX !). Dernière chose, la voiture transporte un groupe permettant de souder si besoin ! Le seul travail qu’il ne fera pas sera l’installation du faisceau électrique qu’il confiera à un de ses amis, spécialiste dans le domaine chez Renault. 

Alors que Thierry avance considérablement dans son projet, une mauvaise nouvelle arrive. Le rallye Pékin-Paris ne verra pas le jour, il est tout simplement annulé.
Thierry se retrouve donc  avec un véhicule en pleine phase de construction pour une course qui ne verra pas le jour et un sponsor important qui compte sur lui pour lancer les nouvelles couleurs de son parfum Jules.


La seule solution qui se présente à eux est d’engager le Jules2 (c’est ainsi qu’on va dénommer la voiture) sur le Dakar 84. Il faut donc comprendre que Thierry n’a en aucun cas construit son Jules2 dans le même état d’esprit que la Rolls, ni pour le même rallye, ni avec le même cahier des charges ! Mais il n’y a pas d’autre épreuve à la hauteur du Paris-Dakar, avec autant de retombées médiatiques et c’est donc à cette 6ème édition du rallye que s’inscrira (et pilotera) Thierry de Montcorgé sur son prototype.


La donne change considérablement. Thierry n’a pas construit un engin adapté au Dakar et lui-même convient que s’il avait voulu le faire, il serait déjà parti sur un buggy en 84 et pas du tout sur le Jules2 ! Du coup, il faut s’adapter, mais surtout terminer la voiture pour le 1er janvier 1984 et organiser cette participation au rallye.

La grande modification par rapport au premier projet sera l’engagement d’un véhicule d’assistance dédié à Jules2.
Thierry fait du coup appel à ses amis et contacte la société SINPAR spécialiste des transformation 4x4 de véhicules spécifiques.

L’idée plait beaucoup et l’accord est trouvé. Le camion sera un petit Renault 4x4 destiné au marché des pompiers qui sera transformé pour l’occasion. Sinpar se charge de la fabrication, engagera deux de ses mécanos (Houet et Chartier), tandis que le troisième homme sera Christian Richard, un ami de Thierry qu’il a connu à l’époque où il fabriquait ses superbes buggys De Montcorgé.

Le camion est donc pensé comme un transport de pièces (notamment les fameux tirants de suspension « fusibles », il y en aura 9 pour le rallye, largement de quoi voir venir), les roues de secours, le matériel spécifique, …Le caisson arrière est conçu pour être hyper fonctionnel, avec des hayons latéraux qui permettaient d’ouvrir complètement l’accès, la partie centrales étant réservée aux roues de secours, le reste étant compartimenté de façon méthodique et pratique. Enfin, au-dessus des compartiments, un espace est réservé pour les couchettes…Presque le grand luxe !

Fin du premier épisode 

Si vous souhaitez plus d'histoires de Dakar, visitez Dakardantan

et retrouver ICI l'Episode 2 de cette histoire   
 

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