20 mars 2022

La première participation « officielles de Suzuki au Dakar ? C’était en voiture !

Quand on évoque Suzuki et le Paris-Dakar, les premières choses qui viennent en tête sont les motos jaunes des frères Joineau, Marc et Philippe, au début des années 80. Une collaboration et un partenariat avec l’usine japonaise qui a duré jusqu’en 87, avec des places d’honneur et des victoires parfois frôlées de justesse. C’est aussi, fin des années 80 et début 90, le Team de Gaston Rahier sur les monstrueuses DR et autres DRZ qui jouaient encore une fois la victoire, toujours sans succès malheureusement. Mais il est une autre histoire qui lie Suzuki au Paris-Dakar, sur 4 roues cette fois-ci, que l’on va vous raconter…



Pour ce faire, remontons le temps et retournons dans les années 60. Jusque-là, Suzuki a une histoire proche de ses rivales japonaises : présente dans l’industrie textile, la société se diversifie vers les activités de production de moto dans les années 1950. Mais assez vite, 10 ans après environ, la fiscalité japonaise est extrêmement favorable aux petites voitures, les fameuses « kei car » (du japonais « Keijidosha » voitures légères), 4x4 capable d’affronter les routes accidentées et d'aller dans des endroits jusqu'alors inaccessibles en voiture. Suzuki s’en fait alors une spécialité sur ses premiers modèles et qui vont très vite trouver leur clientèle.

Sans entrer dans les détails, Suzuki saisit l’opportunité de racheter les droits de fabrication d’une petite société qui avait développé un véhicule 4 roues motrices, HopeStar, et obtient la technologie pour commercialiser ces fameux Kei Car. Dès lors, les ingénieurs de Suzuki prennent la base du HopeStar On360 et développent leur premier 4X4, le LJ10 (LJ pour Light Jeep) dont la commercialisation débute en 1970.
Ce véhicule (qui existe encore et qui en est à la 4ème génération) va évoluer rapidement, pour passer du LJ 10, au LJ20, puis LJ 50 et fin des années au LJ80.
D’abord motorisé par un 2 cylindres, puis un trois, le petit 4×4 dispose désormais courant 1977 d’un moteur quatre cylindres à quatre temps, refroidi par eau, cubant 797cm2 et développant 42Ch. Cette version développée pour le besoin des armées japonaises et australiennes est finalement commercialisée au grand public, avec un nom qui diffère selon les marchés…On le voit ainsi sous le nom Samuraï aux Etats-Unis par exemple, ou Jimny en Europe. Avec des passages de roue avant élargis et des passages de roue arrière évasés, le LJ80 affiche un design plus élégant et plus sympa. Le capot moteur, toujours maintenu par des clips à ressort comme sur les précédentes versions, est légèrement surélevé pour permettre de loger le nouveau moteur.



Mais si le petit 4x4 japonais est facilement trouvable dans son pays d’origine, il en est tout autrement sur le continent européen. Rares sont les pays qui ont un réseau de distribution (la France ne commercialisera la version 2 du Jimny, le SJ410 qu’en …1982 !) mais une nouvelle demande concernant le 4x4 plaisir est en train d’émerger. Ainsi, l’Allemagne, la Belgique, mais aussi l’Italie sont un peu en avance pour importer et distribuer le LJ sur leur sol.
C’est dans ce contexte que Suzuki Allemagne, basé à Munïch, souhaite faire un « coup » promotionnel et communiquer autour de cette prochaine commercialisation. Ainsi, la responsable du marketing de Suzuki Allemagne, Mlle Stinnes, propose de participer au Dakar et de communiquer autour de cet évènement. Deux véhicules de course et un camion d’assistance seront donc engagés par l’importateur pour l’édition 1981 du rallye ! L’objectif est simple, engager des véhicules les plus proches de la série afin de prouver la simplicité et la robustesse des petits Suzuki. Reste à trouver des équipages et surtout, un préparateur pour l’ensemble du team.

Et tout naturellement, l’importateur va chercher en Allemagne les préparateurs qui pourraient être sollicités. A cette époque, très peu d’Allemands avaient participé au rallye et il n’y avait quasiment pas de préparateurs typés rallye-raid. C’est donc vers un spécialiste de la compétition que Suzuki Allemagne va se tourner, mais pas n’importe lequel : Schnitzer.
Oui oui, celui-là même qui a un pédigrée énorme en circuit, spécialiste de préparation extrêmement poussées à l’époque pour BMW. Pour rappel, Schnitzer sévissait autant sur des berlines en championnat d’Europe de tourisme et dans le spectaculaire DRM que des moteurs de Formule 2. C’est justement sur un bloc BMW « Schnitzer » que Jacques Laffite décroche le titre de champion d’Europe de F2 1975 au volant d’une Martini. Les premiers gros succès arrivent en 1975/1976 dans le championnat DRM, alias Deutsche Rennsport Meisterschaft, l’ancêtre du DTM et dans des courses internationales.

 

En 1977, Schnitzer fait une infidélité à BMW et développe une Toyota Celica Turbo dans le cadre de la nouvelle règlementation Groupe 5 « Silhouette » du DRM, qui est assez permissive et fait la part belle aux monstres surpuissants turbocompressés. L’expérience n’est toutefois pas concluante et l’année suivante, Schnitzer revient vers la Bavière et remporte le titre grâce à Harald Ertl au volant de la monstrueuse BMW 320 Turbo, dont le turbocompresseur a été préparé et développé par Schnitzer en personne. En 1980 et 1981, Schnitzer travaille encore sur ses 320 turbo mais également sur des monstrueuses M1 turbo. 

C’est donc à ces sorciers que les petits 4x4 vont être confiés. Pourtant, rien de ce qui se fait en circuit ne sera transféré sur les LJ80. Bien au contraire, l’objectif est de fiabiliser les voitures, mais surtout de conserver le plus possible un véhicule proche de la série. C’est donc principalement sur des renforts et sur des éléments de sécurité que la préparation va se focaliser. Skis de protection, arceaux de sécurité 6 points, réservoirs supplémentaires, autant d’éléments spécifiques à un Dakar, mais rien de très pointu côté moteur. Petite anecdote spécifique au marché allemand, les LJ sont équipés d’origine d’un blocage de différenciel arrière mécanique à commande manuelle. En actionnant un levier, le pilote pouvait simplement (dé)verrouiller complètement le différentiel arrière.

La raison de l'inclusion du blocage de différentiel était de nature législative. Les LJ80 avaient un frein de stationnement qui freine les engrenages dans la boîte de transfert au lieu de freiner les roues arrière individuelles directement et simultanément (comme dans la plupart des véhicules de tourisme). Cette conception présente plusieurs avantages, ainsi qu'un inconvénient important : en raison du différentiel arrière ouvert, le frein à main n'a aucun effet lorsque la boîte de transfert est en mode deux roues motrices (roues arrière motrices) et lorsque l'une des roues arrière est relevée dans l'air. Par conséquent, se fier au frein de stationnement lui-même serait dangereux dans certaines situations relativement rares. Mais la loi allemande exigeait que ce risque n'existe pas. Au lieu de reconcevoir le système de frein de stationnement pour ce marché, Suzuki a apaisé l'exigence légale en incluant un blocage de différentiel arrière. Du coup, nos deux petits LJ engagés au Dakar bénéficient de ce système…en série  !


Coté assistance, Schnitzer n’a aucune expérience non plus. Pour eux, l’Afrique demande un camion spécifique et taillé pour elle. C’est donc dans le stock de l’armée allemande que l’on va chercher un camion qui semble avoir le profil idéal, un Hanomag AL 28 Atlas, solide mais extrêmement rustique. Il est équipé d’un moteur diésel de 70cv qui lui donne une vitesse de pointe de … 72km/h ! Une fusée ! Qu’importe, le véhicule est lui aussi préparé pour la course, et surtout pour emporter toutes les pièces dont le team pourrait avoir besoin !

Reste à trouver les équipages. Suzuki Allemagne pense un temps à Freddy Kottulinsky qui vient justement de remporter l’édition 1980 du Dakar. Malheureusement, impossible pour lui de se libérer en ce début d’année 81. Il va donc proposer un ami à lui, excellent pilote et coéquipier au sein de Audi, Harald Demuth. Harald a un curriculum déjà assez impressionnant, puisqu’il a commencé à courir dans au début des années 70 (sur Fiat 128 !), a participé à plusieurs épreuves de championnat du monde dès 74, devient pilote officiel en Allemagne pour Audi en 1979 et brigue très souvent la victoire en championnat national (Il sera d’ailleurs champion d’Allemagne juste après ce Dakar en 82 puis 84 !!).


il s’avère en plus qu’il fut pressenti un temps pour partir sur le rallye en 1980 sur un Iltis, mais que ça n’a pas pu se faire. Il est donc extrêmement motivé pour ne pas louper cette 3ème édition du rallye. Comble de chance, il est originaire de de Marktredwitz dans le nord de la Bavière, tout comme un certain Michael Schwägerl, qui n’est autre que le copilote attitré de Freddy Kottulinsky en rallye. Un accord est trouvé et les deux hommes composeront donc le premier équipage du LJ80.
En ce qui concerna la seconde voiture, elle va également être confié à un pilote allemand qui a obtenu quelques résultats en championnat national, principalement sur Opel Kadett, Udo Winkler. Il sera accompagné de Malinek, alors que deux mécaniciens de Suzuki Allemagne seront dans le gros Hanomag, Michael Doerner et Franz Mayer.

Le 1er janvier 1981, ce sont donc deux LJ80 allemands flambant neufs, quasiment inconnus du grand public, qui sont garés place du Trocadéro, en attendant le départ de l’épreuve. Les 4x4 japonais semblent bien petits à côté des Range Rover, Mercedes G et autres Toyota Land Cruiser, et sa vitesse de pointe de à peine 110km/h malgré ses 800kg laisse perplexes les spectateurs qui découvrent ces véhicules.
Les prologues vont d’ailleurs permettre aux équipages de comparer leurs voitures face à la concurrence. Et d’en vite voir leurs limites ! En effet, habitués à des voitures bien plus puissantes, nos rallymen ont du mal avec les 40cv des LJ et un centre de gravité assez haut ! Voulant essayer de faire un temps malgré tout lors de ces deux premières spéciales, Harald Demuth va vivre sa première mésaventure à Olivet. En prenant un virage un peu trop à l’intérieur, dans une portion très serrée, le LJ s’immobilise puis glisse sur le côté et se retrouve sur le toit ! Heureusement, les spectateurs interviennent tout de suite, remettent la voiture sur les roues alors que l’équipage n’a même pas besoin de sortir du véhicule. Au final, à peine 30 secondes de perdues !


A l’issue des deux épreuves françaises, (Olivet et Les Garrigues), les deux LJ se retrouvent 93 et 104ème.
Lors des premières spéciales Africaines, nos petits LJ mais surtout leurs pilotes vont faire parler la poudre. En effet, dans la toute première spéciale chronométrée, Demuth/Schwagerl pointent au 48ème rang, alors que le second LJ est classé 73ème. Superbe perf quand on sait que du coup, ils sont dans le premier tiers de la caravane qui compte encore près de 180 concurrents en autos et camions. Par contre, l’inquiétude commence çà pointer concernant le Hanomag qui prend énormément de retard sur les petites suzuki, ses 70km/h de pointe expliquant cela. Il est loin derrière au fond du classement !
La seconde spéciale sera quant à elle plus compliquée. Très cassante, destructrice pour les voitures, elle verra les premiers soucis mécaniques des petits LJ. Problème de pompe à eau pour la voiture de Harald Demuth qui doit attendre ( !) l’Hanomag afin de changer la pièce. Malgré tout, au bout de cette journée, les deux voitures Jimny pointent au 112 et 135ème rang au général. Mais grosse ombre au tableau, le camion surchargé et beaucoup trop lent est déjà hors course !



Le lendemain, la spéciale emmène les concurrents de 4 chemins à In-Ecker…. 565 km de piste caillouteuse, de tôle ondulée, de passages sablonneux, de montagnes, de dunes au milieu d’un paysage désolé et grandiose. Les concurrents venaient pour voir du désert, ils sont servis ! Au briefing du matin, Harald Demuth demande à Thierry de compléter son discours avec quelques mots d’anglais, puisque beaucoup de concurrents ne parlent pas français, dont lui ! C’est Diane qui s’en chargera … Harald l’en remercie encore 40 ans après ! Au moins, il a pu avoir quelques infos sur ce qui l’attendait.
Très vite, nos petits LJ ne vont pas supporter cette mise à mal et les soucis mécaniques vont à nouveau apparaître. Plus importants ceux-là, puisque sur les deux voitures, les ponts avant vont casser. Sans assistance, en deux roues motrices, très loin au classement général et au tout début du rallye, nos équipages prennent la sage décision d’arrêter et de revenir à 4 chemins retrouver le camion Hanomag. Grâce aux pièces de rechange, les réparations seront faites et les voiture pourront repartir…sur Alger, tranquillement, la décision de rentre avec les voitures encore roulantes étant la plus sage. D’autant que nos amis allemands ne se sentent pas trop en sécurité sur ce rallye qui change complètement des courses qu’ils font habituellement. Habitués aux rallyes européens, ils trouvent le road-book pas assez complet mais ont surtout été très touchés par l’accident qui couta la vie à des journalistes italiens.

Le Team Suzuki Allemagne rentre donc par la route jusqu’à Alger, reprend le bateau avant de remonter jusqu’à Munich. Le constat est plutôt mitigé, puisque au bout de deux étapes africaines, les voitures et les équipages ont dû renoncer. D’ailleurs, cette participion de l’importateur bavarois sera la seule et unique au Dakar. La communication concernant le LJ ne se fera pas autour de performance mécaniques et sportives, mais plutôt autour de la convivialité et la simplicité de la voiture… Ce sera la seule participation pour ces pilotes allemands qui reprendront leur carrière avec succès, notamment Harald Demuth, mais qui auront fait germer dans la tête de certains futurs concurrents l’idée d’emmener un Jimny à Dakar. D’ailleurs, l’année suivante, en 1982, un autre équipage allemand, Josef Loder et Aloïs Schneck, reviendra sur le rallye à bord d’un véhicule semblable. Et réussira à l’emmener jusqu’à Dakar, cette fois-ci, même si c’était hors course ! Mais tout ça est une autre histoire !
 

Grand Merci à Jeff pour son texte et les photos qu'il a collecté sur Dakardantan

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