25 mai 2022

Une Panhard 24 CT sur le Paris Dakar.

Lors de cette troisième édition du Paris-Alger-Dakar, beaucoup de concurrents rivalisent d’ingéniosité pour tenter l’aventure.  On a tous en tête évidemment la Rolls de Thierry de Montcorgé, véhicule emblématique du rallye, mais lors de cette édition 1981, il y avait une foule d’autres véhicules très originaux. Aujourd’hui, Dakardantan va vous raconter l’histoire de l’un d’entre eux, et bien sûr de son équipage, les Auvergnats Philippe Bretey et Yves Champilou. D’autant qu’ils ont décidé de partir sur un véhicule français qui n’a absolument pas été prévu à l’époque pour traverser l’Afrique, bien au contraire, puisqu’il s’agit un coupé à la ligne pure et plutôt typé Grand Tourisme, une Panhard 24 CT !!! Pourquoi une telle voiture, quelle préparation pour quel résultat, autant de questions auxquelles nous allons répondre dans ce sujet…

 

 

Tout commence, comme souvent, par un défi et une histoire d’amitié. Philippe Bretey est pilote aux essais spéciaux moto du CERL (centre d’essais et de recherche Michelin). Il est passionné de mécanique, d’automobile, de vitesse mais également de compétition moto puisqu’il a participé à plusieurs courses en 125 et 250, en championnat régional (il roule quotidiennement sur toutes sortes de motos afin de tester des pneumatiques, ça aide !). Il est de plus passionné de Panhard (il en possède trois !!) et …d’aventure !
Trois ans avant ce Dakar 1981, il a réussi à mêler ces deux derniers centres d’intérêt en réalisant un voyage de près de 8000 km passant par l’Espagne jusqu’au Maroc à bord d’une Panhard PL17, qu’il avait récupérée en épave et entièrement reconstruite de ses mains ! Cela lui a d’ailleurs permis de constater la fragilité des boites de vitesses des voitures de cette marque, on en reparlera plus loin !
Yves Champilou, quant à lui, travaille également chez Michelin, mais comme technicien dans un bureau d’études de pneumatiques. Passionné d’aviation, il est titulaire de son brevet de pilotage et de navigation aérienne. Autant dire que lire une carte ou suivre un cap n’ont aucun secret pour lui ! Ses autres passions sont assez semblables de celles de son ami, mécanique, vitesse, aventure…



C’est donc tout naturellement que nos deux amis ont eu envie de tenter l’expérience du Paris-Dakar. Âgés de 24 et 22 ans, il n’ont malheureusement que peu de moyens financiers à disposition et très vite, le choix sur la voiture à engager va dépendre de ce paramètre.
Si un 4x4 est rapidement éliminé car beaucoup trop cher à l’achat, trouver un véhicule deux roues-motrices capable d’aller jusqu’à Dakar en course n’est pas si facile.
Par définition, il doit être rapide, léger pour franchir les zones de sable, avoir une bonne garde au sol pour les zones caillouteuses, et solide pour tenir les 3 semaines du rallye.
Cela élimine beaucoup de berlines d’un seul coup !!!
D’autant que cette voiture ne doit pas être trop chère et surtout, comme l’équipage part sans assistance, nos deux amis doivent la connaitre sur le bout des doigts en cas de panne.
Bref, après réflexion, un tel véhicule neuf n’existe pas, il faut donc … le construire, si possible à partir d’une base existante.

Leur choix va tout naturellement se tourner vers Panhard, marque passion de Philippe Bretey. Mais pas n’importe laquelle, la 24 CT, le dernier modèle sorti par la marque avant que celle-ci ne soit rachetée par Citroën. 
Et puis, partir sur un véhicule aussi rare et inédit qu’une 24 CT pour un Dakar sera assurément un gage d’attractivité et d’intérêt pour des sponsors !
Il faut dire qu’une 24 CT, ça a une certaine allure ! Dessinée par Louis Bionier, dessinateur des Panhard depuis les années 30, assisté de René Ducassou-Pehau, la voiture adopte une ceinture de caisse inspirée de la Chevrolet CORVAIR. Elle possède des originalités pour l’époque comme des doubles phares à l’avant, que l’on retrouvera plus tard sur les DS par exemple, ou bien un fameux volant ovale pour laisser de la place aux genoux dans la position de conduite ! Sa silhouette très basse et élancée est une vraie réussite. Et puis, un des atouts de cette voiture, en plus de sa ligne, est sa simplicité de construction et sa légèreté, autour de 850kg. Enfin, la 24 CT, dans sa toute dernière version (entre 65 et 67) possède un moteur maison Tigre M10S de 848cm3, 65cv, permettant une vitesse de pointe de près de 160km/h.  Elle bénéficie même d’un freinage amélioré avec des freins à disque sur les quatre roues, remplaçant avantageusement les simples tambours qui équipaient les premiers modèles lors de sa sortie.
Du coup, le choix de l’équipage est fait : ils partiront sur une Panhard 24 CT dernière version, moteur 848cm3 et freins à disque !



Ils vont trouver cette perle rare dans la région et vont l’acquérir au mois de mars 1980 pour la somme de …2500 Francs de l’époque ! (Cela représente à l’époque à peine le quart du prix de l’engagement !). En fait, ils achètent au moins deux 24 CT, une 24 CT étoile (modèle de 64) de couleur bleu clair à freins à tambour et une 24 CT de couleur blanche (construite entre 65 et 67) à freins à disque. Les deux voitures ne sont plus très fraiches… D’après les photos, la voiture bleue servira de base pour la transformation et la blanche pour les pièces.

A partir de ce moment-là, ils vont se lancer dans un travail de préparation colossal, reprenant chaque composante de la voiture afin de la transformer en une bête de course capable de remporter le Paris Dakar ! Pour se faire, ils vont écumer les casses de la région, utiliser leur réseau d’amis et connaissances, interpeler les associations et surtout le Club Panhard (existant aujourd’hui encore) et l’Amicale Panhard (dont le vrai nom était : « Les Amis de Panhard et Levassor »), tout comme le spécialiste des pièces Panhard « Joël Brunel » (Société Panhardis aujourd’hui).

Le travail va concerner tous les postes, systématiquement, du moteur à la carrosserie en passant par la boite de vitesse, l’intérieur et bien-sûr les normes de sécurité.

Le moteur va ainsi subir une réfection complète et sera traité entièrement au HB2 (Microlon), tout comme la boîte de vitesses d’ailleurs.
Les cylindres et pistons issus d’automitrailleuses Panhard (qui fabriquait déjà à l’époque des véhicules militaires) sont montés spécifiquement, de même que les chemises et soupapes qui sont neuves. C’en est de même pour le vilebrequin, tout comme du pignon de distribution qui est en aluminium, ainsi que la pompe à huile qui est changée pour être à plus grand débit. On lui ajoute même un radiateur d’huile pour faire face aux températures africaines. Bien sûr, le carter a été rendu étanche pour éviter toute intrusion de sable ! Le refroidissement de l’huile se fait normalement dans le carter grâce à la circulation de l’air au-dessous de la voiture. Ici, le dessous de la voiture est entièrement habillé (on le verra plus loin), il fallait donc prévoir un refroidissement supplémentaire. Les variations de la température de l’huile étant lisibles sur les instruments, il était alors possible d’alimenter une pompe électrique pour entrainer l’huile vers un radiateur complémentaire. 


La dynamo est remplacée par un alternateur de DS, plus puissant et le circuit électrique est simplifié, mais néanmoins doublé (on en reparlera !).
L’embrayage est renforcé avec l’utilisation d’un disque métallique, et la boite de vitesse est entièrement restaurée (l’expérience du voyage en PL17 a montré l’importance de la fiabiliser !).
Philippe et Yves ont d’ailleurs eu la chance de pouvoir récupérer 7 vieilles boîtes de vitesse de Panhard auprès d’un paysan local. Voulant les aider dans leur projet, il les a tout simplement…données. Un long travail de démontage et de reconstruction leur a permis de remonter, à partir des 7 boites usagées, une seule boite de vitesse avec couple conique plus court : 3 vitesses courtes et 4ème plus longue. Une seconde sera également reconstruite pour être éventuellement utilisée en cas de panne. La température d’huile moteur et de la boite sont contrôlés par des témoins. 

Le moteur est posé dans un nouveau berceau moteur entièrement réalisé en tubes d’aciers qui permettent de recevoir ce moteur, mais aussi de constituer un « ski » permettant de glisser sur les dunes et autres bancs de sable. Il est de plus protégé par un sabot en aluminium (Duralumin) très épais, qui poursuit sur toute la longueur de la voiture en un plancher complètement lisse.
L’échappement d’origine, qui passe habituellement sous le moteur et la voiture, est lui aussi modifié afin de ne pas être percuté en cas de choc. Après un essai de ligne d’échappement passé à l’intérieur de l’habitacle qui se terminera par un arrêt en catastrophe dû à l’odeur insupportable qui émane de la protection thermique installée autour des conduits, la sortie d’échappement est une nouvelle fois modifiée afin de permettre aux tubes de passer au-dessus du moteur, puis de ressortir par le capot à hauteur de pare-brise, remonter sur le toit et rejoindre un silencieux vissé en travers de celui-ci. Un tissu de laine de verre vient l’entourer et le protéger sur toute sa partie extérieure. Enfin, tout a été prévu puisque la colonne d’échappement est en deux parties qui peuvent de démonter très facilement afin d’avoir accès au moteur, et pouvoir même démonter celui-ci si besoin ! Tout l’avant de la Panhard est donc renforcé, protégé par un sabot enveloppant la voiture et aucun organe ne vient baisser la garde au sol. 


Les trains avant et arrière vont également être modifiés mais surtout renforcés (avec une jambe de force rajoutée), tout comme le système de suspension. A l’avant, des lames de ressorts sont modifiées (lames supplémentaires) et des amortisseurs spécifiques Koni réglables, originellement conçus pour une R5 Alpine, sont installés.
A l’arrière un essieu de camionnette Panhard va être monté et la fixation des amortisseurs de R5 Alpine (à gaz et réglables) sera également renforcée. A cela le rajout de roues de 15 pouces (jantes de 404) chaussés d’excellents pneus Michelin XRC1(assez normal quand les deux membres d’équipages travaillent chez Bibendum !), et la garde au sol va passer de 12cm à plus de 30cm ! 

Bien évidemment, le plancher d’origine est lui aussi renforcé par des plaques de Duralumin et un arceaux 6 points est directement fixé sur le châssis tube d’origine. Outre la protection de l’habitacle, il permet un rigidification et un renforcement important de la caisse. Il sert aussi de point d’encrage du nouveau support moteur comme on l’a vu, mais de renfort aussi pour la partie arrière puisqu’il reçoit les fixations des amortisseurs AR qui sont aussi équipés de ressort additionnels.
L’intérieur est quant à lui dépouillé de tout ce qui est superflu, le chauffage (système pourtant très innovant à l’époque avec de multiples canalisations), les garnitures de porte également. Les sièges d’origine en simili cuir noir pourtant très moelleux sont remplacés par deux baquets avec harnais, toutes les commandes sont entièrement doublées (faisceau électrique, compteurs, voyants,…) en cas de panne. Il y a même 2 pédales de frein « à main », une côté pilote, l’autre côté copilote !!! Peut-être encore la seule voiture du Dakar à posséder cette particularité ! Chacune des 2 pédales (de DS) agit sur la roue AV du côté où elle est installée, faisant du coup office d’autobloquant en cas de patinage d’une seule roue, ou plutôt de « pédibloquant » ! D’autre part, il faut savoir que la 24 CT avait des étriers doubles à avant et que le frein à main agissait mécaniquement sur l’un des deux pistons d’une roue.


Le réservoir d’origine collé au plancher a été enlevé et remplacé par deux réservoirs supplémentaires de 58l chacun réunis dans une double coque alu pour être conforme aux normes compétition de l’époque (toujours l’idée qu’en cas de panne, un organe similaire de secours ait été prévu), renforcés par des tubes d’acier et fixés sur l’arceau, permettant une autonomie de près de 1000 km ! 
L’équipage a même pensé à créer un « cric » central traversant le plancher au milieu de la voiture monté sur vérin en cas de plantage de la Panhard ! L’idée était de pouvoir soulever la voiture sans même à avoir en sortir en cas d’ensablement ! (Au final, cette solution finalement trop lourde ne servira pas en course !)
Enfin, dernier souci de préparation, l’équipage embarquait dans cette 24 CT un chalumeau léger afin de pouvoir effectuer des soudures en cas de besoin et quelques pièces dont la boîte de vitesse de secours, heureusement pas trop lourde sur ce modèle de voiture !!!! 

Et puis, pour lutter contre le poids, un extraordinaire travail a été réalisé concernant la carrosserie, avec l’aide des clubs Panhard et plus particulièrement Joël Brunel (qui apparaitra d’ailleurs dans les sponsors).
Tous les éléments de la carrosserie ont été réalisés en polyester (par Joël Brunel) à l’exception du toit qui pour des raisons de solidité et de résistance à la chaleur (n’oublions pas que le pot d’échappement repose dessus) est resté dans sa tôle d’origine.
L’avant de la voiture a été réalisé en une seule partie démontable pour faciliter l’accès au moteur (la « pseudo » partie ouvrante étant surélevée pour laisser passer le moteur et amener l’air de refroidissement , la prise d’air d’origine au-dessous du pare-chocs étant masquée par le sabot en aluminium), les portes et l’ensemble de la partie arrière reprennent donc la forme originelle de la 24 CT, le poids en moins ! Les vitres sont également remplacées par des éléments en Macrolon, recouverts de Solar-film pour se protéger de la chaleur, à l’exception du pare-brise qui reste d’origine et qui joue lui-aussi son rôle dans la rigidité de la voiture.
Le poids de cette carrosserie sera ainsi divisé par 5 par rapport à celle d’origine même si le poids total final de l’auto, plombé par les renforcements divers, ne change pas fondamentalement.

Au final, il aura fallu près de 1500 heures de travail les soirs et les week-ends pour réaliser cette Panhard 24 CT unique. Si la voiture a couté 2500 F à l’achat, le coût total de l’opération, engagement compris reviendra à près de 55 000 F !!! Heureusement, en plus des clubs Panhard, certains commerces locaux viendront participer financièrement au projet (une carrosserie de Billom, un magasin de motos Clermontois entre autres, toujours et encore les passions de l’équipage). Malheureusement, malgré une identité unique et un travail remarquable, aucun grand sponsor ou grand mécène (comme ce fut le cas pour la Rolls par exemple) ne viendra accompagner cette aventure.


Il n’empêche que notre petite Panhard sera à côté des autres concurrents le 1er janvier 1981 place du Trocadéro. Et elle a fière allure, même si la concurrence dans la catégorie deux roues motrices est très relevée lors de cette troisième édition : entre les buggys Cotel et Sunhill, les CX officielles, les Porsche 924, L’Alpine Renault et quelques 504, la lutte s’annonce difficile. En effet, l’objectif avoué est de rallier Dakar bien évidemment, mais aussi ni plus ni moins de viser la victoire dans cette classe. Passé le moment où la 24CT attire le regard des milliers de badauds rassemblés tout près de la Tour Eiffel, il est déjà l’heure de partir au milieu de la foule afin de rejoindre Olivet pour la première spéciale chronométrée. Petit hors d’œuvre de 5km pour un rallye qui en compte plus de 10 000 et qui va traverser l’Algérie, le Mali, la Haute-Volta, la Côte d’Ivoire pour rejoindre le Sénégal et Dakar 3 semaines plus tard ! Avec une seule journée de repos à Gao, pour les chanceux qui auront pu arriver jusque-là !



Ce premier prologue va plutôt bien se passer malgré la boue et le sable collant du camp militaire des Gremuses, à Olivet ! Néanmoins, la puissance du moteur de 65cv montre très vite sa faiblesse face aux CX usine de Luc et Lapie, premières deux roues motrices. Il faut déjà repartir et rejoindre Nîmes de nuit, ça y est, le Dakar est lancé !!! La liaison se fait par la route, par un froid Sibérien qui met l’équipage à rude épreuve entre grattage du pare-brise qui givre de l’intérieur et réchauffage des mains sur le petit chauffage camping-gaz qui rend l’âme très rapidement…

Le 2 janvier, nouvelle petite spéciale vers Nîmes, au terrain militaire des Garrigues. Là encore, 7,5 km pour déterminer la position de départ lors de la première spéciale africaine. En ce matin d’hivers, la boue et les ornières sont légion et la spéciale est un véritable bourbier.
Mais là encore, notre équipage s’en tire avec les honneurs, puisqu’à l’issue de ces deux spéciales françaises, la Panhard n°149 est 83ème sur 179 véhicules classés, et 17ème des deux roues motrices. 
Le reste de la journée est passé à rejoindre Sète, embarquer sur le Tipasa et rejoindre le sol Africain pour que la grande aventure commence vraiment !

Le 4 janvier, la première étape du Dakar est une longue liaison qui mène de Alger à Moudjbara. Le parcours est routier et il faut utiliser tous les chevaux de la Panhard pour rejoindre le premier bivouac organisé par Africatours, et son couscous. Première surprise, il fait encore très très froid et le chauffage performant de la 24 Ct d’époque fait toujours cruellement défaut ! 

Le 5 janvier, les affaires sérieuses commencent. Le programme est sérieux avec une étape de presque 1000km jusqu’à 4 Chemins, comprenant deux spéciales Moudjbara-Messad (38 km) et surtout Guerrera-El Alia (107km). Le terrain Algérien alterne passages cassants avec de grosses ornières, cailloux, trous et passages sablonneux. Entre les deux, la Transaharienne, longue route bitumée, qui peut elle-aussi se révéler extrêmement piégeuse ! Bref, une vraie étape de Dakar, longue, cassante pour les voitures, usante pour les équipages !



La première petite spéciale qui commence cette journée et mène jusqu’à Messad se passe plutôt correctement avec un 98ème temps. La Panhard se retrouve au milieu du peloton, mais avec son moteur qui est sûrement l’un des plus petits du plateau, elle s’en tire plutôt bien à côté des gros 4x4 surpuissants. Néanmoins, ce manque de puissance inquiète déjà l’équipage qui voit la caravane aller très très vite dès ce premier jour de course !

Si la longue liaison entre Massad et Guerrera se passe sans soucis, malheureusement, dans la seconde spéciale, l’histoire se complique. Dans une partie sablonneuse, le moteur s’emballe sans que la voiture n’avance et le verdict tombe rapidement : un flector de cardan a rendu l’âme et la réparation prend une petite heure. Après ce coup de chauffe, l’équipage repart le mors entre les dents et attaque les dunes qui commencent à apparaître. Hélas, dans une montée particulièrement raide et sablonneuse, la voie la plus « facile » est bloquée par de nombreux autres concurrents en mauvaise posture. Nos deux amis décident donc de passer par un autre endroit. Ce trajet est encore plus difficile à traverser, un craquement sinistre se fait entendre et ruine tous les espoirs de l’équipage : le différentiel vient de casser net. La nuit tombe, la voiture est ensablée et en forte pente, impossible de réparer sur place sans extraire d’abord la voiture de la pente et la mettre sur terrain plat.  Tout autour de la voiture, c’est l’hécatombe : plusieurs voitures et motos sont arrêtées dans des positions plus ou moins bizarres et aucune ne peut venir en aide à la Panhard.

Au vu de l’expérience acquise lors du voyage au Maroc, l’équipage a heureusement prévu une boîte de rechange qu’ils ont pris la précaution d’emporter dans la voiture, malgré le poids supplémentaire que cela implique (les autres pièces de rechange sont dans le camion de George Groine qui lui-même participe à la course) mais la réparation prendra forcément beaucoup de temps ! C’est la fin de l’aventure alors même qu’elle venait de vraiment commencer. Le désert a eu raison de la petite Panhard 24 CT, la décision est donc irrémédiable, c’est l’abandon. Cependant, après que la voiture ait été tirée hors de la pente par la Land-Rover de la police locale le lendemain et remorquée jusqu’à un poste en plein désert, le moral remonte et l’idée d’un retour sur Alger est abandonnée : l’équipage s’attaque au changement de la boîte avec les moyens du bord, ce qui prend une petite demi-journée et décide de continuer et de profiter de l’aventure jusqu’à Dakar ! D’ailleurs, la Panhard est rejointe par 2 autres concurrents malchanceux, l’un équipé d’une Datsun verte et l’autre d’une DS 21 dont la partie Avant est de 1972 et dont la partie AR provient d’un break de 1968 ! C’est donc une mini caravane qui reprend la piste avec l’espoir d’aller jusqu’au bout de l’aventure…

La Datsun décide toutefois de passer par une autre route et c’est le duo Panhard/Citroën qui, après quelques crevaisons sur choc et un passage remarqué à Tamanrasset, nom mythique qui a alimenté leurs fantasmes d’aventure depuis des années, franchit la frontière entre l’Algérie et le Niger (après avoir patienté 4h que les douaniers daignent sortir de leur poste pour faire passer la cohorte qui s’est formée devant la barrière. Eh oui, la notion du temps est différente en Afrique…).

L’aventure continue sur des piste roulantes jusqu’à Ouagadougou où les 2 jeunes gens peuvent enfin rassurer leurs familles, sans nouvelles depuis l’Algérie…Puis c’est la découverte des pistes de la Haute-Volta et du Mali: les creux de 70cm sont légions et se succèdent amenant petit à petit l’essieux AR à se cintrer et amener les roues AR à s’ouvrir et s’affaisser sous les coups de boutoirs incessants. La voiture se met alors à survirer à la moindre sollicitation du volant : très amusant mais fatiguant à la longue…Au bout de nombreuses centaines de kilomètres de ce traitement, la fixation centrale de l’essieu arrière finit par se rompre. Après une réparation de fortune à base de sangle et de fil de fer, l’équipage finit par trouver un garage local qui dispose d’un poste à souder à moteur essence et surtout qui connait la façon de s’en servir. Et c’est un jeune garçon d’une douzaine d’années qui remet l’essieu en état après les tâtonnements infructueux de Philippe, incapable de se servir de ce système un peu…particulier !

Le Mali les accueille et l’arrivée à Bamako, toujours en compagnie de la DS s’accompagne d’une question : faut-il reprendre la piste ou est-il préférable de prendre le fameux train Bamako-Dakar pour essayer de rejoindre le Rallye avant l’arrivée ? Après quelques hésitations , ils décident de prendre le train et là, l’aventure prend un tour étonnant : Il faut maintenant composer avec l’administration des trains Maliens pour trouver un wagon capable de prendre les voitures, sachant que nos deux équipages ont été rejoints par beaucoup d’autres, dont la Rolls « Jules » de De Montcorgé, la Toyota des inénarrables frères Delefortrie sponsorisés par La Blanquette de Limoux et bien d’autres…Après 3 jours de négociation (toujours l’Afrique…), on finit par décharger plusieurs wagons plateau de la ferraille qui les remplissaient (avec le Land Cruiser Blanquette de Limoux) et charger les voitures. Le bakchich qui va bien finit par décider le conducteur du train qui part enfin, à la vitesse moyenne de 15 km/h sur des rails qui sont tout sauf parallèles. Les arrêts se multiplient, les parties de carte sur le capot du Toyota aussi.

 

L’ennuie et l’impatience gagne notre équipage qui finit par décider de descendre du train avec leurs amis de la DS pour repartir, le couteau entre les dents et rallier la plage de Dakar, départ de l’ultime étape du rallye. La Panhard vole sur les bosses, croise un camion d’assistance complètement explosé après une sortie de piste spectaculaire, et arrive enfin, presque à court de carburant sur les bords de l’Atlantique. Après une courte nuit, c’est le départ de la mythique étape sur la plage qui va jusqu’à Dakar. La Panhard retrouve des ailes sur cette surface lisse propice à des glissades sans fin au plus grand plaisir des 2 amis qui se partagent le volant …jusqu’à la panne d’essence, à 20 kms de Dakar… Heureusement, la DS est juste derrière et un siphonnage partiel permet à la Panhard de repartir, doucement, jusqu’au podium d’arrivée où un petit groupe en liesse célèbre la victoire de René Metge sur Range Rover.

Un repos bien mérité à l’Hôtel leur permet de jouir de la surprise de Thierry Sabine, organisateur du Rallye, de voir les 2 voitures à l’arrivée après un abandon si près du départ !

 

Le retour en France par avion fut rapide mais le retour de la voiture par bateau nettement plus long ce qui fit que le trajet du Havre vers Clermont sur le réseau routier Français se déroula en Mars, bien après que l’euphorie du Rallye soit retombée, avec une voiture complètement trafiquée et passablement dégradée par un choc pendant le trajet en bateau. Les petites routes furent privilégiées et tout se passa bien.

La voiture réapparait à Paris au printemps 1981 lors d’une manifestation commémorant les 90 ans de la marque Panhard (il existe de nombreuses photos). Philippe et Yves avaient engagé beaucoup d’argent et devaient se refaire une santé financière. Il semble, que certains éléments n’avaient été que prêtés et qu’ils ont été rendus. D’autres, comme les réservoirs, les sièges et autres équipements spéciaux ont été revendus. Certains éléments de la carrosserie (mais pas le capot, qui servira sur le buggy, ni l’habillage de la porte droite, qui avait été endommagée sur le bateau lors du rapatriement) ont également été revendus ou rendus à Joël Brunel (Les informations sont contradictoires à ce sujet).
Le châssis, quant à lui, fut un temps utilisé par Philippe Bretey dans quelques entrainements de rallye-cross avant d’être revendu à un amateur de Panhard de Haute-Savoie pour être transformé, d’après ses dires, en … Chasse-neige ! (Jusqu’à présent, il n’existe aucune trace de ce chasse-neige… !!)
Le moteur, quant à lui, toujours en très bon état, a été remonté sur une autre 24 CT, la dernière que Philippe restaura et utilisa pendant des années. 

Ravis de l’aventure mais déçus par cet échec sportif du Dakar 1981, nos deux amis pensèrent à un moment à un nouveau projet innovant pour l’édition 82, toujours en Panhard, mais avec un moteur…à compresseur ! (Le projet était basé sur un moteur 4 cylindres Panhard provenant d’un véhicule militaire, d’un châssis spécifique et d’une carrosserie en fibres aux formes d’une 24 ct). Malheureusement, pour diverses raisons (dont financières) cela n’a pas pu se faire.
Il n’y eut donc jamais d’autre participation de Panhard sur un Dakar, et ce depuis près de 40 ans ! (Même si, si on veut être très précis, certains véhicules d’assistance les années suivantes, notamment pour l’équipe Citroën, étaient des véhicules Panhard à moteur V6 Peugeot provenant de l’usine « Panhard Général Défense » de Marolles en Hurepoix, fabricant entre autres, des véhicules P4 sous licence Mercedes…)

Il y a quelques années, un passionné de la marque a pu racheter les éléments originels de cette 24 CT. Son objectif était de remonter un véhicule identique à la n°149 du Dakar 1981 ! Il se pourrait donc que l’on revoit un jour une réplique de cette Panhard 24 CT rouler à nouveau, ou mieux participer au Dakar Classic ! On peut toujours rêver, mais ça, c’est une autre histoire !

Jeff

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