03 septembre 2020

16 records du monde en Focus, le défi de l’écurie Ford France. 

Promouvoir un nouveau modèle fait parfois figure, pour les constructeurs de véritable casse-tête. Entre campagnes de promotion, essais presse, engagements en compétition, et événements programmés tout au long de la vie du véhicule, il faut trouver l’alchimie entre budget, efficacité et storytelling. En 2011, quand  Ford présente sa dernière compacte, la Focus équipée d’un moteur de seulement 1 litre de cylindrée, il faut convaincre une clientèle pas encore habituée au downsizing. Chez Ford France, une main levée en réunion a l’idée originale de battre des records du monde. Le genre d’idée qui semblait facile, sur le papier. 

Retrouver le podcast audio de cet article à la fin de cette page et L'apéro Auto où Fabrice Devanlay, un des protagoniste de cette aventure la raconte 

Une voiture, un moteur, une idée 

L’idée de s’attaquer à des records du monde de vitesse est vieille comme le monde. Depuis les débuts de l’automobile, tout le monde a toujours voulu battre des records. Mais force est de constater que la grande époque des records de vitesse est révolue depuis bien longtemps. Chez Ford France, où on est toujours à la recherche d’idées nouvelles pour animer la marque, ou le réseau, on a déjà évoqué l’idée mais sans vraiment s’y pencher sérieusement. 
En 2011, l’arrivée du moteur 1.0 litre EcoBoost 125 chevaux est un événement. Anticipant la vague du downsizing (qui consiste à faire de plus petits moteurs, mais équipés de turbos), c’est une petite révolution. Nombreux sont ceux qui ne croient pas à un si petit moteur dans une compacte, mais dès les premiers essais, la presse spécialisée est dithyrambique. Non seulement les performances sont intéressantes, mais la plage d’utilisation est large, le bloc se montre vaillant dès 1300 tours, et les consommations se montrent raisonnables. (Ce moteur sera même élu moteur de l’année en 2012 avec un score jamais atteint auparavant, et conservera ce titre jusqu’en 2017). 

C’est bien joli tout ça mais le but c’est quand même d’en vendre. En 2011, qui a envie d’acheter un moteur de 1000 cm3, sans aucun recul quand à sa fiabilité et qui en plus ne dispose que de 3 cylindres ? Pas moi en tous cas, et je n’étais surement pas le seul dans ce cas. 
A Saint-Germain en Laye, au siège de Ford France, on repense à cette histoire de records. Quelle preuve plus efficace pour prouver la fiabilité d’un moteur que de rouler à fond pendant des heures ? 
Chez Ford France, le patron de la com, Stéphane Cesareo commence à se renseigner. Il y a des records à établir ou à battre dans cette catégorie. Dans la filiale française, le défi commence à faire le tour des bureaux et tout le monde semble partant pour ce défi. Au fil des semaines, on se renseigne, on se documente. Finalement on expose le projet aux techniciens de la marque qui ont développé le moteur EcoBoost et la réponse tombe : “Nous ne voyons pas ce qui pourrait empêcher ce moteur de rouler à fond pendant 24 heures”. 

Le doigt dans l’engrenage 

Fabrice Devanlay, patron de la communication de la marque en France, qui à l’époque était déjà dans l’équipe me raconte : “A ce moment là, je pense qu’on ne se rendait pas encore compte de la logistique nécessaire à ce genre de tentatives. Après nous avons compris pourquoi les tentatives de records de vitesse étaient rares, et pourquoi elles n’avaient jamais été tentées par des filiales comme nous, mais par les marques directement.” 
A la lecture des règlements de la FIA, on commence à se dire qu’il va falloir se former à la conquête de la vitesse. 
Le patron de la division Ford Performance, Jost Capito, qui est passé chez BMW, VW, ou Porsche est également un passionné, ancien concurrent du Dakar, mais aussi commissaire de la FIA. Jost va valider les choix de l’équipe Ford France, étudier le dossier, conseiller, et dérouler une feuille de route. 

Le règlement c’est le règlement 

Prétendre homologuer un record FIA n’est pas une mince affaire. Tout d’abord il faut une voiture, oui mais pas n’importe laquelle, ou plutôt si. Les voitures qui serviront à la tentative de record devront être prélevées au hasard sur les lignes de montage.  Pour avoir 3 voitures au hasard, il faut donc mettre de côté 9 véhicules à l’usine, parmis lesquels la FIA choisira les heureuses élues. 
L’idée étant d’avoir une bleue, une blanche et une rouge, il faut donc prévoir à l’usine 3 Focus de chaque teinte. Une fois la sélection faite par les inspecteurs de la FIA, l’inspection commence. Elle durera toute la journée, jusqu’à 1h du matin au sein de l’usine Ford de Saarlouis. Des plombs sont posés sur les Focus, qui doivent maintenant subir un rodage en bon et due forme selon les règles de l’art de la fédération. A partir de cet instant, chaque détail compte et on prend bien soin de recouvrir la voiture de stickers “do not touch without permission”, pour éviter par exemple qu’un mec pas au courant décide de virer ces drôles de plombs dans le moteur de cette Focus. 

L’autre condition pour homologuer le record tient dans le circuit. L’endroit où la tentative se déroule doit lui même être homologué pour les records. En France, c’est le cas de l’anneau du CERAM, qui sera loué pour l’occasion. 
Les pilotes qui prendront les relais doivent tous posséder des licences de pilotes FIA. Ce sera chose faite pour chacun des 12 pilotes, membres de Ford France ou journalistes qui prendront le volant des Focus. La tentative se déroulant sur l’anneau du CERAM, ils doivent également obtenir une certification. Chaque membre de l’équipe sera formé à la conduite à très haute vitesse sur ovale. 

“Je vous conseille de réussir”

Tout semble prêt pour cette tentative et à quelques jours à peine du jour J, le téléphone sonne dans le bureau du service communication de la marque en France. Le patron de la communication de Ford Europe, qui a vaguement donné sa bénédiction au projet semble pris de remords. Celui ci vient aux renseignements : “C’est un beau projet, mais il se passe quoi en cas d’échec ?” La réponse du côté français est honnête : si pour une raison X ou Y, la tentative devait mal se passer ou échouer, on ne pourrait rien y faire. En présence de 80 journalistes du monde entier, il est évident que la nouvelle finirait bien par fuiter. De la même manière que lorsqu’un constructeur s’engage dans une compétition, il y a une prise de risque inhérente à ce genre de passe temps. 
A l’autre bout du fil, le communicant, dans un flegme tout britannique marque un silence puis lache  : “Très bien, dans ce cas alors je vous conseille plutôt de réussi

Les 24 Heures du Ceram 

Le 30 mai 2012, c’est le grand jour. Jari-Matti Latvala, pilote du Ford World Rally Team en Championnat du Monde des Rallyes, pénètre sur le circuit du CERAM. Il pilotera la Focus 1.0 EcoBoost engagée sur les tentatives de 1 km et 1 mile départ lancé et départ arrêté. Dix pilotes – des français, un britannique et un américain, constitueront les autres équipages. Deux Focus 1.0 EcoBoost rouleront simultanément sur les tentatives de 24 H. Latvala, commence les hostilités avec une tentative de records de vitesse départ lancé sur 1 km et 1 mile, puis départ arrêté sur 1 km et 1 mile. Suivront une tentative de records de vitesse départ arrêté sur 500 km, avec mesures intermédiaires de la vitesse moyenne sur 10 km, 10 miles, 100 km, 100 miles et 1 H. Puis enfin, une tentative de records de distance sur 24 H avec mesures intermédiaires de la vitesse moyenne sur 500 miles, 1000 km, 1000 miles, 6 H et 12 H.

Pour valider le record, le tracé de l’anneau de vitesse a été scrupuleusement mesuré. Afin de respecter la distance, chaque pilote a l’obligation de rester dans le troisième couloir et ne doit en sortir sous aucun prétexte. La totalité de la distance parcourue sera filmée par des gopro embarquées et scrupuleusement visionnées par la FIA.  Si un seul des pilotes venait à sortir de la ligne, le record serait invalidé. 


Latvala commence à s’attaquer aux premiers records et un petit problème se pose. La Focus est équipée de l’ESP. Si, pour un conducteur normal c’est plutôt un atout, quand le pilote prend le volant pour établir un record cela peut devenir un problème. Latvala attaque si violemment avec la Focus que l’ESP ne cesse de se déclencher, et à même bien du mal à contenir et supporter le pilotage du Finlandais. La solution est toute trouvée, il faudra le désactiver, la conduite Finlandaise étant faite de glisse. 

La magie d’une nuit d’endurance 

Une fois tous les records de sprints battus, il faut s’attaquer au morceau de bravoure du programme. Une course contre la montre de 24 heures. Les 12 pilotes commencent à se relayer. Parmis ces relayeurs, Fabrice Devanlay se souvient : “Pendant que les autres pilotes enchainent des tours autour de l’anneau, moi je n’en demeure pas moins un membre de l’équipe de communication de Ford. Donc, j’assure mon relais et je file directement m’occuper des 80 journalistes invités qui réalisent des essais presse qui se déroulent en même temps à l’autre bout du site, sur le circuit routier. Entre deux j’assure les conférences de presse. Mais évidemment pendant tout ce temps j’ai une seule chose en tête, ce record. Toute l’équipe de Ford France (rebaptisée à l'occasion Ecurie Ford France, comme à la grande époque. 

 Fabrice enchaîne les aller-retour entre les invités et le circuit. Vers deux ou trois heures du matin, il franchit une nouvelle fois l’anneau sur la petite route transversale qui relie l’entrée du circuit au centre névralgique de l’anneau de vitesse . “Je traverse la piste, il fait nuit noire et je ne vois pas de phares tourner autour du circuit. La voiture n’étant pas très bruyante je ne l’entend pas non plus. Je commence à me demander si elle tourne encore, si un problème est survenu. Je stoppe mon moteur, je coupe mes phares et je me poste en bord de piste. Quelques poignées de secondes plus tard, je vois deux phares passer devant moi. J’ai ouvert ma vitre, la Focus tournait comme une horloge au rythme d’un métronome. A ce moment là j’ai compris ce qu’était l’endurance.

Les gars avaient tous fait le job pendant mon absence, et je revenais pour assurer mon relais. Nous étions une équipe, et chacun d’entre nous portait sa part de succès ou d’échec dans l’opération. On avait réussi une première chose essentielle : fédérer une équipe autour d’un projet”. 
Fabrice redémarre sa voiture, et rejoint l’équipe en pleine nuit pour un énième relais. Le tableau de marche est respecté, avec une allure plutôt prudente. Au terme des 12 premières heures, la moyenne s’établit tout de même à 166,784 km/h. 

Le coup dur 

En bord de piste, les tasses de café chaud s’accompagnent de sourires confiants et de tapes sur l’épaule. Tout va bien sur la planète ovale et bleue,  mais cela ne va pas durer. 
Au petit matin, alors que le jour se lève au dessus de l’anneau de vitesse et que les esprits commencent à émerger d'une longue nuit sans sommeil, survient la panne. Non pas de Focus comme on pourrait imaginer mais tout simplement de groupe électrogène. Les instruments destinées à mesurer la vitesse de la voiture, le camion en bord de piste, la machine à café, sont des engins qui fonctionnent à l’électricité. Si du café froid ne remettrait pas en cause la validité du record, il n’en est pas de même concernant les radars et chronomètres de la FIA. Les instruments de mesure ont une autonomie d’une heure, pas une minute de plus. Si dans 60 minutes le groupe électrogène n’est pas revenu à la vie, s’en sera fini de cette tentative de record, et un an de travail sera réduit à néant. 
Tout d’abord on se dit qu’il y a peut-être une source de courant quelque part, mais il faut vite se rendre à l’évidence : la seule prise de courant est dans une cabane, située à 800 mètres. Aucune rallonge ne sera jamais assez longue pour amener le courant. 

Sur l’anneau les voitures continuent de tourner, on prévient les pilotes qu’il faudra baisser le rythme devant l’impossibilité de faire le plein de carburant. Les minutes passent au même rythme que les mines s’allongent. Les officiels de la FIA commencent à se dire qu’ils vont rentrer plus vite chez eux. Il reste 5 minutes avant que les chronomètres s’éteignent définitivement. Sur la piste les voitures sont sur la réserve. Un des techniciens tente un truc de dernière minute : “on a pas le choix, je vais faire comme avec mon ordinateur quand il déconne, on va éteindre, et tenter de rallumer”. Autour du groupe électrogène, une petite foule inquiète s’est formée. Les respirations sont suspendues à cette foutue machine. Le plus dur est fait, il y a un an de travail pour en arriver là, la voiture marche parfaitement, les pilotes font un travail fantastique, mais le destin de l’opération est suspendu au bout du doigt d’un technicien qui “tente un truc”. Contre toute attente, le foutu groupe électrogène tousse un peu, puis redémarre comme un grand, sous les applaudissements d’une équipe qui ne voulait pas en rester là. 

On fait rentrer les voitures, on charge en essence les réservoirs et on établit un nouveau plan pour rattraper le temps perdu dans l’opération. 
“Comme dans une équipe du Mans qui subit une avarie, il faut modifier la stratégie. On décide de passer à des relais de 1h30 au lieu d’une heure et on demande aux pilotes d’attaquer à fond”. La consigne a le mérite d’être assez simple à comprendre et à retenir, même pour un journaliste automobile. 

Libérés, délivrés 

Plus rien n’arrêtera les Focus. Au terme des 24 heures d’une ronde infernale elles franchissent la ligne d’arrivée. 
Le pari est gagné pour Ford. Premièrement, aucune avarie ne viendra frapper les véhicules. La fiabilité est étonnante, à tel point qu’on ne fera même pas les niveaux d’huile ou de liquide de refroidissement.  
Deuxièmement, pas moins de 16 records du monde sont battus ou établis par la Focus 1.0 litres et ses 12 pilotes. 

Six ans après le souvenir reste gravé dans la tête de tous les participants, avec une pointe de fierté. “C’est vrai, de temps en temps j’y repense et je raconte ça à ma fille et je lui rappelle qu’elle a un papa qui détient un record du monde de vitesse” me confie Fabrice en souriant. “Mais cette aventure restera certainement comme quelque chose d’unique dans nos vies professionnelles. L’époque a changé et il y a quelques années il était encore possible de monter des projets fous comme celui ci. Le coût n’était pas négligeable, le risque non plus. Ce serait compliqué de refaire ça aujourd’hui”.  
Cerise sur le capot, Stéphane Cesareo ira à la remise des prix annuelle de la FIA et se verra remettre un trophée au milieu des champions du monde de F1 et de chaque discipline du sport auto. 

Merci à Fabrice Devanlay pour son témoignage et sa passion. 
Liste des records établis : 

RECORDS BATTUS  VITESSE 
1 kilomètre départ arrêté 113,522 km/h
1 mile départ arrêté 79,402 mph
1 kilomètre départ lancé 176,168 km/h
1 mile départ lancé 108,548 mph
10 km 172,053 km/h
100 km 187,579 km/h
500 km 186,793 km/h
1000 km 164,361 km/h
10 miles 110,237 mph
100 miles 118,412 mph
500 miles 102,656 mph
1000 miles 103,357 mph
1 heure 191,056 km/h
6 heures 165,555 km/h
12 heures 166,784 km/h
24 heures 171,029 km/h


Nicolas Laperruque 

A regarder, L'apéro Auto ou Fabrice Devanlay un des protagoniste de cette aventure la raconte 
 

 

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