18 août 2020

GAZ Siber, la Volga qui venait de Detroit

En Russie, il y a Lada, traditionnel leader, UAZ, et aussi GAZ, fabricant historique de la berline Volga (lire aussi : Essai GAZ Volga). Depuis 1955 cette berline représentait, dans la Russie communiste, un symbole d’appartenance à la “classe supérieure”. Si le peuple devait se contenter des Jigouli, un membre de l’administration ou encore mieux du parti, pouvait prétendre à une Volga, ou pour certaines élites triées sur le volet, carrément à une ZIL.

En 1967, une nouvelle Volga, la M24 remplace la première monture. La carrosserie est beaucoup plus moderne mais la mécanique n’est qu’une évolution de la précédente génération. Au fil des années, les évolutions seront timides et à la chute du mur chez GAZ on comprend vite que ce modèle ne pourra résister longtemps à la vague de véhicules européens annoncée sur le marché Russe.

 

Un oeil vers l’Ouest

Au milieu des années 2000, pour tenter de faire illusion et maintenir le fabricant à flot, on inflige à cette vénérable berline de réguliers restylages. D’ultimes replâtrages de l’ancestrale M24, elle même issue d’une voiture sortie en 1955, un demi-siècle plus tôt. Il faut réagir mais les capacités d’ingénierie sont faibles, et même si l’actionnariat renouvelé du constructeur lui permet d’investir un peu, chez GAZ on ne sait pas par quoi commencer. Le plus urgent est de trouver une remplaçante à cette bien encombrante Volga.

En 1998, un accord avait été signé avec Fiat pour produire des Palio, Siena et Marea, mais faute d’argent (des deux côtés), l’accord ne sera jamais respecté. Toujours est il que l’ingénieur Vadim Pereverzev, accompagné des designers Igor Bezrodnik et Anatolii Chachkov sont envoyés pour deux mois en stage à Turin. Là bas ont leur montre le projet 841, autrement dit la future Lancia Thesis de 2002.

Une Lancia Thesis comme Volga? 

En 2005, cela revient en mémoire au ingénieurs Russes. L’idée de rebadger la Thesis fait son chemin et Pereverzev est de nouveau envoyé à Turin. Là bas, Marchionne cherche à rentabiliser Lancia et l’idée de revendre au Russes cette licence est accueillie avec un grand intérêt. Après tout ce ne serait pas la première fois que Fiat fournirait un modèle aux Russes, c'est comme ça que Lada a vu le jour. Mais début 2006, patatra les deux parties annoncent que le deal ne se fera pas. L’explication officielle surprend tous les observateurs et vient de chez GAZ. Le constructeur souhaite cesser la production de la Volga, qui n’aura pas de descendante! GAZ ne produira plus que des utilitaires et des véhicules militaires, avec de meilleures marges. On dit aussi que l’ingénieur Russe embauché pour étudier la faisabilité serait finalement resté en Italie, laissant le projet à l’abandon.

L’Amérique, l’Amérique, je veux l’avoir et je l’aurai

En Russie, cette annonce fait l’effet d’une bombe et de nombreux clients manifestent leur mécontentement. Même Poutine s’en mêle en s’affichant dans une Volga de 1957 avec un certain Georges Bush Junior sous les caméras du monde entier. Finalement au mois d’avril 2006, revirement chez GAZ, la Volga aura bien une descendante et un accord est signé avec DaimlerChrysler. Le constructeur Russe débourse 150 Millions de Dollars pour acheter la licence des Chrysler Sebring et Dodge Stratus de seconde génération. Pour ce prix on achète les droits de production, les lignes d’assemblage, l’outillage et la formation du personnel Russe. Les pièces sont importées des USA et on charge le fournisseur Canadien Magna de s’implanter sur place pour superviser la production de pièces locales et pour effectuer les contrôles qualité des véhicules produits.

La GAZ Siber est présentée au salon de Moscou 2007. Difficile de trouver des différences avec une Chrysler Sebring. Le pare choc et les feu arrières sont modifiés, la garde au sol adaptée au réseau routier Russe et un logo GAZ appliqué sur la nouvelle calandre. On se demande où sont passés les 290 millions d’euros d’investissement total de cette opération. Mais chez GAZ on est très optimistes. On annonce une production de 100 000 exemplaires par an, pendant 10 ans. Pour faire passer la pilule américaine, on rappelle que 70 ans avant, la première voiture de la marque reposait sur une licence de Ford-A, également américaine. Le jour de présentation la direction parle de la cible visée : « l’acheteur de Siber aura entre 30 et 45 ans, père de famille, directeur d’une petite société ou cadre. La Siber sera souvent sa première voiture de marque étrangère ».

Étrange façon de présenter les choses de la part du constructeur Russe. Dans les allées du salon de Moscou, presse et visiteurs sont unanimes, ça ne sera pas facile pour la Siber. Malgré une garantie de 3 ans, une technologie bien plus moderne que les productions habituelles du pays, un look plutôt sympa, peu sont ceux qui prédisent un bel avenir à cette berline. Certains rappelant que ce qui n’a pas marché au Etats-Unis n’a pas de raison de se vendre en Russie.

Assez rapidement les chiffres vont leur donner raison. Commercialisée en octobre 2008, la Siber ne se vend pas. Fin décembre, seuls 3000 exemplaires sont commandés sur les 10 000 prévus. Pire, l’essentiel de ces exemplaires sont en fait des modèles d’exposition qui ne trouvent pas preneurs. Le tarif baisse alors de 18% et l’objectif de 100 000 ventes pour 2009 est ramené à 30 000.

Les raisons d’un échec

Avec le recul, les raisons de cet échec sont multiples. Premièrement, cette voiture n’a jamais passionné les foules. Que ce soit dans sa première vie, sur le sol Américain ou dans cette reconversion Russe. Malgré d’indéniables qualités, ça ne prend pas. Les Russes ont pris l’habitude de se fournir en Ford Mondeo, Hyundai, Toyota et dans le haut de gamme les Allemandes ont raflé la mise. La Sebir est déjà dépassée. L’acheteur Russe accepte volontiers un retard technologique sur du low cost mais pas sur cette gamme ou l’image est primordiale.

Le plus gros problème de la berline américano-russe c’est son tarif, vendue entre 15 000 et 17 000 euros, la Siber est 3 fois plus chère que la Volga qu’elle était censée remplacer. Ce prix élevé s’expliquant par l’investissement de départ, mais aussi par la faible intégration des composants. 70% des pièces sont fournies par les américains et doivent être importées. La Sebring n’étant plus produite, ce sont des fournisseurs de l’Oncle Sam qui récupèrent la production de pièces, en profitant pour faire exploser les tarifs, jusqu’à 400% ! Chrysler n’arrange pas les choses en exigeant des royalties s’élevant à 200 Dollars sur chaque modèle produit en plus des 150 Millions déjà déboursés pour acquérir les droits du modèle.

Le positionnement flou n’arrangera pas les choses. Vendue comme une voiture étrangère, la Siber reste une voiture au blason Russe. Les acheteurs d’étrangères y verront une voiture Russe et préféreront une vraie européenne, japonaise ou américaine vendue au même prix avec une bien meilleure image. L’amateur de voitures Russes y verra une étrangère et achètera une Priora moitié moins chère. Alors que GAZ aurait pu jouer sur la fibre nostalgique en appelant cette voiture Volga, aucune allusion n’est faite à son aïeule, qui continue d’ailleurs d’être produite en parallèle, renforçant le flou dans la tête des acheteurs. Ajoutez le sentiment anti-américain encore bien présent en Russie et vous obtenez une voiture boudée.

Un autre problème viendra plomber cette carrière. Les concessionnaires, pour la plupart multimarques, ne s’empressent pas de commander des Siber. Premièrement, les premiers exemplaires disponibles mettent beaucoup de temps à partir, refroidissant les ardeurs des vendeurs. Mais surtout les délais de paiement auprès du constructeur Russe sont de seulement 25 jours contre par exemple 120 jours pour Ford. Conséquence, si la Siber en exposition n’est pas vendue dans les 24 premiers jours, le concessionnaire devra payer de sa poche le véhicule. Les Russes sont au début d’une crise économique majeure, les acheteurs se font rares, et n’incitent pas à la prise de risques. Le risque de garder une Mondeo 4 mois sur le parc étant proche de zéro, le choix des distributeurs est vite fait et la Siber déserte rapidement les show rooms Russes.

Stopper l’hémorragie

Chez GAZ, après une année 2009 catastrophique, on tente un dernier coup de poker. Premièrement on renomme le véhicule Volga Siber. Une version moins équipée, avec une boîte manuelle est lancée. Ceci coïncide avec un programme gouvernemental de prime à la casse destiné à relancer les ventes de véhicules produits sur le sol Russe cumulable avec une autre prime de la région de Nijni-Novgorod où est produite la berline. Les deux primes cumulées, associées à une nouvelle baisse de tarif finissent par mettre la Siber au prix d’une Renault Logan ou d’une Hyundai Accent.

Chez GAZ on se dit qu’à ce prix là ça va bien finir par se vendre. Les premières semaines de promotion semblent leur donner raison. Il ne s’est jamais vendu autant de Siber qu’en ce début d’année 2010. Mais rapidement il faut se rendre à l’évidence. Même en maintenant ce rythme toute l’année, on arriverait en cumulé à 5000 ventes annuelles… La rentabilité du projet chiffré depuis le début autour des 100 000 exemplaires par an, ne laisse que peu de doute. Le coup de grâce est porté par Bo Andersson, le nouveau patron de la marque. Embauché pour sauver la marque, le Suédois tranche dans le vif. Il arrête la production de voitures de tourisme et concentre les efforts sur la production d’utilitaires. Une ultime prime à la casse financée en interne permet de se débarrasser de l’encombrant stock dans les derniers mois de 2010.

Pour la petite histoire les 60 dernières Siber seront vendues en lot à une compagnie de taxis assurant les liaisons d’aéroports dans différentes villes du pays. Celle qui devait être produite à 1 million d’exemplaires sur 10 ans se sera finalement écoulée qu’à 8933 unités entraînant dans sa chute l’appellation Volga.

Nicolas Laperruque 

 

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