07 avril 2020

Quand Carhartt voulait concurrencer Henry Ford

Carhartt Inc. fabrique des vêtements de travail durables depuis 1889. La marque est portée depuis cette époque par tous ceux qui construisent l’amérique, au point de devenir quasiment l’uniforme officiel du travailleur. Mais saviez-vous qu’ils avaient tenté l’aventure automobile en devenant constructeur automobile? C’est la Road-Story du jour. 

Une histoire américaine 

La première fois que j’ai entendu parler du constructeur automobile Carhartt, c’était à Saratoga Springs, lors de ma visite du Musée automobile de la ville. En découvrant l’exposition consacrée aux constructeurs de Manhattan au début du siècle dernier, j’avais fouiné et j’étais tombé sur ce Carhartt constructeur automobile, sans me douter un instant qu’il s’agissait du Carhartt qui avait fabriqué ma chemise. Petit retour en arrière, en 1889. 

1889, acier, vapeur et locomotives 

Hamilton Carhartt, créé à Detroit une entreprise textile. Les débuts sont modestes, Ham Carhartt commence à produire des combinaisons avec deux machines à coudre et un moteur électrique. Le succès n’est pas immédiat. Hamilton se plante plusieurs fois et ses vêtements ont bien du mal à trouver preneur. Mais Ham s’accroche. Les premiers échecs conduisent Hamilton à se concentrer sur les études de marché. Il prend contact avec des cheminots et après avoir échangé avec eux, décide de leur concevoir un produit qui réponde vraiment à leurs besoins. Bingo, c’est gagné, les cheminots s’arrachent ses bleus de travail et la fameuse salopette Carhartt. Sous le slogan “Honest value for an honest dollar”, la salopette Carhartt devient rapidement l’uniforme officiel du travailleur américain. 

Hamilton Carhartt, le notable de la ville 

Au début des années 1900, Hamilton n’est plus le petit tailleur derrière sa machine à coudre. Son entreprise est devenue rentable, et ce bon vieux Ham commence à investir dans d’autres industries. L’essentiel de ses profits vient du développement du chemin de fer, avec les cheminots du pays qui s’arrachent ses vêtements inusables, mais Hamilton Carhartt regarde ailleurs. En faisant fortune dans le vêtement à Détroit, il devient un des notables de la ville.  Il devient membre du Detroit Athletic Club et se met à fréquenter les pionniers de l’automobiles. Carhartt passe ses soirées avec Henry Ford ou encore Walter Chrysler. Avec ces amis qui lui parlent d’automobile à longueur de week-end, Carhartt finit par craquer, et achète sa première voiture en 1904, une des premières Packard sortie de Détroit. Mais l’histoire de Carhartt va prendre un virage à 180°.

Carhartt Cars Corporation

Hamilton a tout pour lui, son entreprise prospère mais le succès naissant de l’industrie automobile et la notoriété mondiale que développent ses amis Ford ou Chrysler lui font entrevoir le potentiel infini de ce secteur. Carhartt se lance, et sans arrêter pour autant la lucrative fabrication de vêtements de travail, crée la Carhartt Cars Corporation dans l'État de New York en avril 1910. Le président est Hamilton Carhartt et son fils, Hamilton Carhartt Jr., comme vice-président et directeur général. La famille croit tellement dans la réussite de l’entreprise qu’ils investissent 1 000 000 $ dans cette nouvelle aventure.

“Nous vendrons notre voiture à 2 250 $, mais la qualité sera identique à celles vendues 3 000 $ ou  plus. Nous avons l'intention de faire comme nous l'avons toujours fait dans nos autres affaires. De la haute qualité ! Nous ne voulons pas avoir honte des voitures que nous proposons dans la rue. Avec nos cinq mille agents dispersés dans tout le pays et la réputation que nous nous sommes fait par le passé, vous pouvez entrevoir facilement le potentiel pour nos voitures”. Carhartt Jr, Detroit Free Press, 8 mai 1910. 

Constructeur automobile

Carhartt Cars propose deux modèles : la Junior, qui fait 25 ch, vendue entre 1 100 $ et 1 250 $, et  la  «Four» de 35 ch vendue sous de multiples variantes de carrosserie pour 2 250 $. La Ford Model T la plus chère est alors proposée à 1 200 $, alors que la Packard la moins chère commence à 3200 $. En tapant au milieu, Carhartt se veut être un concurrent au coeur du marché, ni entrée de gamme, ni “premium”, comme on dirait aujourd’hui. 
Les Carhartt ont toutes des moteurs Continental et sont assemblées dans une usine de Detroit au coin de Jefferson Avenue. 

Show room à New York 

Carhartt voit grand et en juin 1910, il ouvre un showroom à New York, dans le hall de l'hôtel Plaza. Ca peut sembler banal à l’heure des Tesla Store mais à l’époque c’est une première et les journaux ne s’y trompent pas, vantant le “Le spectacle inédit d'une automobile entièrement assemblée exposée dans un hôtel”. 
Tous les voyants sont au vert d’autant que les automobiles Carhartt semblent faire régulièrement l’actualité. Les Carhartt sont même choisies par les officiels de la course d'avion de Chicago à New York en 1910, pour suivre le parcours de la course. Durant l’hiver, c’est encore une Carhartt qui se distingue en remorquant d’autres véhicules dans New York, en pleine tempête de neige. Noël arrive et Hamilton Carhartt, fait venir un sapin de Noël à l’intérieur du showroom Carhartt Cars, décoré de cartes portant le nom des clients ayant acheté une voiture. Mais au dessus de New York, l’avenir s’assombrit pour les Carhartt. 

"Les emmerdes, ça vole toujours en escadrille" J.Chirac 

Le procés 

En apparence, tout semble rouler pour Carhartt Cars mais les premiers ennuis ne tardent pas à apparaître. En attirant l’attention, les voitures de la marque ont aussi attirées les ennuis. Deux mois seulement après les débuts de la marque, un procès pour contrefaçon de brevet est intenté à la Carhartt Cars Corporation et à plusieurs autres constructeurs dont Ford. Quinze ans plus tôt, en 1895, l'avocat George B. Selden dépose un brevet pour un "transport routier" qu'il avait imaginé mais pas construit. En voyant les débuts d’une industrie automobile américaine en plein essor, il décide de faire valoir les droits de son brevet, en déposant une série d’amendements, de réclamations et de procédures visant à percevoir une redevance sur chaque voiture fabriquée par les autres constructeurs. Le brevet fut contesté par une coalition de constructeurs menée par Henry Ford, dont faisait partie Carhartt. Si Ford finit par sortir vainqueur, d’autres y laissèrent des plumes, à l’instar de notre fabricant de salopettes. Ce coûteux procès plombe une rentabilité déjà mauvaise.

Les voitures Carhartt ont trouvé leur public, mais l’investissement colossal de départ, et la concurrence acharnée d’acteurs déjà solidement installés, va avoir raison des ambitions automobiles de Carhartt. Un an seulement après sa création, Carhartt Cars a un dossier à son nom au tribunal de commerce. La société est en état de faillite, et cherche un repreneur. Ses actifs sont mis aux enchères, et Carhartt Cars ferme ses portes définitivement en 1912. 

La salopette, un bon placement !

Finalement après avoir cédé aux sirènes de l’industrie automobile, indissociable de Detroit et du rêve américain, Hamilton Carhartt revient à ce qu’il savait mieux le faire : les salopettes inusables ou presque. Cette petite parenthèse de deux ans conforte les Carhartt du bien fondé de leur entreprise et de leur vision initiale. Aujourd’hui, Carhartt existe encore, et continue, surtout aux USA à produire des vêtements de qualité et à habiller l’amérique pendant que ses anciens amis Ford et Chrysler continuent de la faire rouler.  Sur le site de la marque on peut lire “La plupart de nos vestes coûtent plus de 100 $, et certaines d’entre elles plus de 200 $. On ne tient pas 130 ans en faisant des trucs pas chers.” 

Nicolas Laperruque


 

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