10 mai 2021

l'inventeur qui arracha à Ford et Chrysler 30 millions de dollars au tribunal

Un jour de pluie de 1962, Robert Kearns eut un de ces éclairs de génie qui sépare les grands inventeurs des simples mortels: que se passerait-il si un essuie-glace s'arrêtait entre chaque passage, comme un œil clignotant ?

Il a construit des prototypes dans son sous-sol, déposé un brevet et commencé à imaginer la suite  installer une jolie petite usine à Detroit, devenir un important fabricant de système d'essuie-glaces et entrer dans l'histoire comme l'un des équipementiers de l'industrie automobile. Mais… Ford a volé son idée.

Né en 1927, Kearns a passé sa jeunesse à Detroit, Michigan, centre de l'industrie automobile américaine. Déterminé à laisser son empreinte dans cette industrie, Kearns a obtenu une maîtrise en génie mécanique et a commencé à préparer son doctorat. Il a bricolé diverses inventions non automobile: un peigne à cheveux distributeur de brillantine, un amplificateur vocal, un ballon météo, un système de navigation. Mais rien n'a fonctionné. Puis, en 1962, ce garçon de 35 ans a eu un coup de génie. Un essuie-glace qui imite l'œil humain. Une décennie plus tôt, lors de sa nuit de noces, Kearns s’était pris un bouchon de champagne dans son œil gauche. Par la suite sa vision devenue déficiente lui a causé de nombreuses difficultés, comme de voir sous la pluie avec des essuis-glaces au rythme immuable.

Au début des années 1960, les essuie-glaces n'avaient que deux positions (une pour les pluies légères et une pour les fortes pluies) et étaient contrôlés par un système fonctionnant en continu et ne permettant aucune variation de fréquence. Pour Kearns, cela ne suffisait pas. En conduisant sous la pluie un jour, il a pensé qu'un essuie-glace devrait fonctionner comme un œil humain, permettant au conducteur de contrôler les pauses et la vitesse des balayages. À l'époque, l'industrie automobile réalisait l'essentiel de ses bénéfices en vendant des options; un essuie-glace à la pointe de la technologie pouvait potentiellement rapporter beaucoup d'argent.

Kearns s'est enfermé dans un coin de son sous-sol avec quelques composants électroniques standard (transistors, condensateurs et résistances) et a construit son premier prototype d'essuie-glace intermittent. Il a logé l'appareil dans une boîte rouge marquée «NE PAS OUVRIR » et l'a installé dans sa Ford Galaxie. Et au début de 1963, il s'est rendu à l'usine Ford pour présenter son système.

Son plan était simple: il les épaterait avec son essuie-glace intermittent, signerait un accord pour obtenir une licence pour sa technologie, ouvrirait sa propre usine d’essuie-glaces et deviendrait le fournisseur incontournable de l’industrie automobile. Le grand jour, Kearns a été accueilli sur le parking de Ford par 10 ingénieurs, qui l'ont mitraillé de questions sur son invention. Ils ont exprimé leur intérêt, mais lui ont dit que les essuie-glaces devaient fonctionner pendant 3 millions de cycles pour répondre à leurs normes. Alors Kearns a acheté un aquarium, l'a rempli d'un mélange d'huile et de sciure de bois, a installé une paire de ses essuie-glaces à l'intérieur et les a laissés fonctionner pendant 6 mois. Après avoir réussi le test, Kearns a déposé le premier brevet pour ses essuie-glaces intermittents et est retourné chez Ford.

L’inventeur a fait alors une série de présentations aux ingénieurs et aux cadres de Ford. Cette fois, ils lui ont proposé un contrat. Mais cela s'accompagnait d'une condition : connaître tout du système de Kearns avant la signature du contrat. Sentant qu'il était sur le point de réaliser son rêve, Kearns a montré à Ford exactement comment son appareil fonctionnait. 5 mois plus tard, Ford lui annonçait avoir mis au point son propre essuie-glace intermittent et n'avoir plus besoin de ses services.

Un an après, Ford lançait un essuie-glace intermittent en accessoire, premier du genre, sur sa gamme de voitures Mercury. Ce système d’essuie-glaces intermittent, qui coûtaient 10 $ à Ford à fabriquer et se vendaient 37 $, devint un produit très demandé. Il a rapidement été adopté par d'autres constructeurs automobiles. Au milieu des années 1970, Chrysler, General Motors, Saab, Honda, Volvo, Rolls-Royce, Mercedes et des dizaines d'autres grandes marques avaient une version d'essuie-glaces intermittents sur leurs voitures. Tous imitaient la configuration exacte de l'appareil de Kearns.

Kearns était si consterné quand il découvrit le vol dont il faisait l’objet qu'il fit une dépression nerveuse et a dû passer deux semaines dans un service psychiatrique. Ses cheveux, autrefois roux, devinrent blancs comme neige. Une fois remis sur pied, il embauchât un avocat et en 1978, intentât une action en contrefaçon de brevet contre Ford, réclamant 50 dollars pour chaque voiture équipée d'essuie-glaces intermittents que Ford vendait.

Ford a ensuite fait ce que sait faire une grande entreprise : trainer la patte, espérant que Kearns « perdrait courage ou manquerait d’argent ». Dans le monde de l'entreprise, il existe un concept appelé « contrefaçon efficace ». De grandes entreprises comme Ford ont constaté qu'il était moins coûteux de voler un produit breveté et de faire face plus tard à des procès que de payer une licence. La plupart des petits inventeurs ne peuvent tout simplement pas se permettre de dépenser des millions de dollars pour aller en justice. « Les entreprises multinationales savent que voler les fournisseurs est de l’argent facile », déclare Mike Collins, chercheur dans le domaine automobile depuis 30 ans. "Vous le voyez maintes et maintes fois." Mais comme Ford le découvrira bientôt, Kearns n'allait pas abandonner.

L'inventeur sexagénaire a embauché (et licencié) 5 cabinets d'avocats différents, et a finalement décidé de se défendre seul. Il dormait sur le sol de son bureau, entouré de boîtes de preuves. Il a recruté ses enfants pour examiner les documents. Et il est devenu si obsédé par l'affaire que sa femme a demandé le divorce.

Alors que Kearns menait cette guerre, son objectif est devenu moins une question de compensation financière et plus la dénonciation des grandes entreprises qui ont volé la propriété intellectuelle des inventeurs. À un moment donné, il a même refusé une offre de règlement de 30 millions de dollars. Ford acceptait de payer mais refusait de reconnaître qu’elle avait volé son invention. 

« Cette affaire n’est pas une question d’argent », a-t-il déclaré au Detroit Free Press. "Si je sors de là avec rien de plus qu'un chèque, je ne suis rien de plus qu'un employé de Ford. " En janvier 1990, 12 ans après son début, l'affaire a finalement été jugée. Et quand cela s'est produit, Kearns a disparu. Il ne voulait pas être confronté au verdict.

Malgré la vente de 20,6 millions de voitures équipées d'essuie-glaces intermittents (575 millions de dollars de bénéfices venant de l’option, essuie-glace intermittent), Ford fut condamné à payer à Kearns 10,2 millions de dollars. Kearns fut très déçu; « Mon intention était d’avoir une petite usine à Détroit, d’avoir de jolis arbustes autour de l’usine, d’embaucher des gens, c’est le rêve toute ma vie » 

Bien que Robert Kearns soit devenu millionnaire, il a continué à vivre une vie d’ascète, dormant sur le sol d'un appartement non meublé rempli de documents, de notes et de déclarations de témoins. L'année suivante, il était de retour au tribunal pour déposer une poursuite similaire pour contrefaçon de brevet contre Chrysler. Une fois de plus, il se représenta lui-même :  un inventeur solitaire face au géant de l'industrie automobile. Et cette fois, il reçut 18,7 millions de dollars. Kearns a qualifié la somme de « pourboire » et, n’a pas récupéré l'argent pendant des années en signe de protestation. Il a intenté des actions contre 18 autres constructeurs automobiles, mais elles ont été rejetées pour diverses raisons.

Finalement, Kearns s'est acheté un domaine dans le Maryland et a pris sa retraite. Mais même à la fin de sa vie, il continua à travailler sur la protection de son brevet. Au moment de sa mort en 2005, l'essuie-glace intermittent était devenu un standard dans l‘équipement automobile, intégré à des millions d'automobiles à travers le monde.

« Kearns a obtenu une certaine reconnaissance sous la forme de 30 millions de dollars arrachés à Ford et Chrysler », lit-on dans sa nécrologie au Washington Post. « Mais il n'a jamais obtenu ce qu'il cherchait depuis le début :» le contrôle de sa propre invention.

http://www.dennis-kearns.com/the-movie/

Réf : the flash of genius dans le newyorker

François Bouet

 

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