C’est l’histoire dingue d’une Rolls-Royce pas comme les autres. Avec son moteur d’avion, sa rareté, et sa puissance démentielle, cette voiture avait tout pour devenir une légende. Finalement, son concepteur devra affronter un procès, perdre sa maison, tous ses biens, et changer de pays. Voici l’histoire de la Rolls dont Rolls-Royce ne voulait pas. 

Paul Jameson, papa de la Beast MK1

L’histoire de cette Rolls pas comme les autres débute à la fin des années 1960. L’ingénieur Paul Jameson a l’idée de créer une voiture animée par un moteur de char d’assaut ! Il jette son dévolu sur un moteur Meteor construit par Rover pour équiper les chars Centurion et Conqueror. Finalement, pour une raison qu’on ignore, il continue ses travaux avec un moteur Rolls-Royce Merlin V12 de 27 litres, provenant d'un avion. Le reste de la fiche technique est plus traditionnel, avec un train arrière de Jaguar, des pièces de Wolseley, des suspensions évidemment renforcées, et un châssis maison. 

Il faut trouver une boîte de vitesses

Tout se passait bien et le moment de trouver une transmission au moteur Merlin est arrivé. 
Après avoir détruit un paquet de boîtes de vitesses et d’embrayages, Jameson devient officiellement chef quatre étoiles spécialisé en salade de pignons. Il finit par contacter le spécialiste de la transmission automatique d’Epsom, une ville située en banlieue de Londres. Cet homme c’est John Dodd. Celui-ci se rend compte que le principal problème est que le Merlin tourne à seulement 120 tr/mn à bas régime. Il crée un système permettant au moteur et à la boîte de former un mariage heureux. Après huit essais, il parvient à faire fonctionner une transmission Hydra-Matic à quatre vitesses de Rolls modifiée. Après quelques modifications, la mécanique fonctionne. 

John Dodd rachète le projet 

C’est alors qu’arrive le premier rebondissement. Jameson en a plein le dos de cette voiture et n’a plus du tout envie de construire une carrosserie pour en faire une vraie voiture. Un jour de 1969, il vend le projet à Dodd pour 500 £. Celui-ci en profite pour améliorer encore sa transmission en adoptant une boîte GM Turbo-Hydramatic 400 à trois rapports, plus apte à encaisser les modifications de Dodds. Dodds fait quelques essais de son châssis roulant sur la base de la RAF de Biggin Hill et frôle les 290 km/h. Il confie son engin à Bob Phelps Bromley Fibre Glass Repairs, une boîte spécialisée dans la fabrication de dragsters au Royaume-Uni. Les frères Phelps conçoivent une carrosserie en fibre de verre d’¼ de pouce d’épaisseur. Pour des raisons de simplicité, ils utilisent comme base, un toit de Ford Capri MK1. Mais ce qui va tout faire basculer c’est l’utilisation d’un capot, d’une calandre et de pare-chocs Rolls-Royce. La Beast MK1 est née. 

La Beast devient une star 

La légende dit que les choses ont commencé à se gâter le jour où un client Porsche se fit doubler sur l’autoroute alors qu’il était lui-même à 240 km/h. Intrigué, il contacte Rolls-Royce pour leur demander quel était ce nouveau modèle aussi rapide. Sans cette anecdote, on peut parier que Rolls-Royce aurait de toute façon été rapidement informé de l’existence de cette Beast. Même en l'absence de réseaux sociaux, la voiture fait le buzz à chaque endroit où elle est stationnée. La télévision commence à s’y intéresser et John Dodd répond à de multiples interviews. On la retrouve également dans le magazine Hot Car en 1973. L’engin obtient même un record de vitesse certifié par le RAC à l'aérodrome d'Elvington et intègre l’incontournable Guinness book, qui recense tous les records du monde. C’est peut-être ça qui n’a pas plu à Rolls-Royce. 

Rolls-Royce n’aime pas la blague 

Comme pour la Rolls du Dakar, le constructeur anglais va vite réagir. Mais si la Rolls de de Montcorgé vaudra à ce dernier un simple courrier de la maison, cette fois la vénérable société anglaise est bien décidée à aller devant les tribunaux. Mais un nouvel événement va venir bouleverser leur plan. Alors qu’il ramène la voiture d’un salon de Suède, la voiture tape un trou sur la route à grande vitesse. Un des réservoirs d’huile de transmission se fend, l’huile se répand et met le feu à la voiture. Dodd tente désespérément d’éteindre le feu, en vain. La Beast est réduite en épave brûlée.

La Beast reconstruite

Est-ce la fin pour la Beast de Dodd? Ce serait mal connaître notre John Dodd. Celui-ci reconstruit une carrosserie et remet une Beast sur la route. Dodd qui aime bien qu’on parle de lui et de sa voiture ne tarde pas à refaire son apparition dans les médias. Pour être certain d’avoir le droit à des articles, il utilise différents stratagèmes. Un jour, il se gare dans Fleet Street, capot relevé. Le quartier est alors truffé de journaux, les journalistes ne mettent pas longtemps à venir photographier la bestiole. Il n’en fallait pas plus pour que Rolls ressuscite sa plainte. 

Le procès

Dodd est convoqué devant la Haute Cour pour violation de marque. Pour bien marquer les esprits, il se pointe à l’audience chaque jour au volant de la voiture et se gare juste devant l’entrée du tribunal. Les représentants de Rolls-Royce, eux, stationnent de l’autre côté de la rue avec une vraie Rolls immatriculée “RR1”. “Le plus drôle c’est qu’ils se sont fait embarquer la Rolls pour stationnement gênant. Alors que la Beast était toujours là” racontera Dodd. Devant l’attitude provocante de son client, l’avocat de Dodd démissionne, accusant ce dernier de ridiculiser la haute cour de son pays. 

Dodd le provocateur 

Il faut avouer que John Dodd y va un peu fort. Non content de stationner l’objet du crime devant le tribunal chaque matin, il porte un pull avec le logo Rolls-Royce à l’audience. Un jour à l’audience, le président lui dit que “1000 chevaux c’est peut-être un peu excessif”. Le lendemain, Dodd appelle un ami qui a des écuries à Hyde Park. Dodd, sa femme, et ses enfants se présentent à dos de cheval au tribunal et attachent leurs montures à la porte du tribunal. Finalement, ce procès et les différents outrages à la cour coûteront à Dodd sa maison, ainsi que de nombreux autres biens, dont un avion bi-moteur. Dodd réussi à conserver sa Beast qui recevra rapidement une grille de calandre de remplacement portant ses initiales. Dodd a tout perdu, y compris le droit d’apposer une calandre Rolls-Royce sur sa voiture. 

Exil in Malaga 

“Heureusement j’étais plutôt habile avec les boîtes de vitesses. Alors quand j’ai tout perdu, je suis parti avec femme et enfants en Espagne, pour tout recommencer à zéro. Maintenant je sais faire de la planche à voile”. Aujourd’hui âgé de 90 ans, Dodd passe toujours ses journées à reconditionner des boîtes de vitesses de Rolls et de Bentley dans son atelier de Malaga.  Et la Beast? Elle roule toujours et fait même figure de star locale. Dodd roule de temps en temps avec mais les occasions se font plus rares. Et avec une consommation de 115 litres au cent, notre ami n’a pas trop envie de rouler au quotidien avec. 

Nicolas Laperruque 

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