08 mars 2021

La véritable histoire du Renault Spider 

Le Renault Spider est une voiture qui nous a toujours intrigué. On connaît tous cette magnifique barquette, qui a tant marqué les esprits.  Mais qui connaît la vraie histoire de ce Spider? Pour répondre à cette question, nous sommes partis en week-end avec un des artisans de ce projet, véritable pilier de Renault Sport pendant des années, Daniel Charles. Une rencontre pleine de surprises et de révélations. 

Claude Fior, l’autodidacte 

Bien comprendre l’histoire du Spider Renault impose de revenir au point de départ, loin de Dieppe ou du Technocentre, à Nogaro. Près du circuit, un homme passionné, fou de moto conçoit des monoplaces école destinées à apprendre ou à faire des “tours de manège”, comme me dit Daniel. Claude Fior vient de l’univers de la moto. Il a couru pendant des années comme en témoignent les broches disséminées partout dans son corps. 
Une bonne monoplace école est compliquée à réaliser. Les contraintes sont nombreuses. Destinée à accueillir un public varié, la voiture doit être accessible à tous les gabarits, être solide, facile à conduire tout en étant joueuse et ne pas coûter trop cher. 

Claude Fior conçoit une voiture bien pensée, utilisant des solutions simples. Pour résoudre le problème des harnais, trop grands, trop petits et compliqués à installer, il croise deux ceintures à enrouleur. Pour limiter les coûts, il utilise évidemment des pièces de série. C’est à ce moment précis que Renault et Fior se rencontrent. Le constructeur fournira les moteurs et les boîtes de vitesses en échange de publicité Renault sur les carrosseries des Monoplaces écoles de Nogaro,  et dans la communication de l’école de pilotage. 

Daniel Charles, le pragmatique 

Daniel Charles, fils de garagiste, a toujours bricolé avec peu de moyens. Très attentif aux coûts engendrés par la course automobile, il développe des solutions économiques, et devient un adepte du “carry over” (en Français, le fait de réutiliser une pièce qui existe déjà sur un autre modèle). Il rêve de faire une monoplace à moteur Renault 5 Alpine sur le modèle des monoplaces Formule France. Pour avoir travaillé à la Direction Centrale de l’Après Vente de la marque au losange, Daniel connaît toutes les nomenclatures des pièces du constructeur. Il utilise les portes moyeux et les freins de la Clio, adopte une boîte de Renault Espace, une cloche de boîte de R18, et un moteur Energy. Pour réduire le prix et faciliter la maintenance, il inscrit au cahier des charges que les 4 roues doivent être semblables, et que les triangles doivent être interchangeables à l’avant et à l’arrière, ainsi que de gauche à droite. 

ELF, qui a pour ambition de revoir entièrement sa filière, s'intéresse de près au projet Campus. L’ambition de départ de Daniel Charles est de fournir des monoplaces Campus aux écoles de pilotage de Nogaro, Le Mans, Paul Ricard ou encore Magny-Cours. Cela permettait ensuite d’organiser un championnat Renault sans avoir à transporter les voitures. Une façon intelligente de limiter les coûts, encore une fois. Finalement ELF imagine un championnat ELF captif, à ses couleurs. Le projet se transforme en formule monotype et le pétrolier gère tout. L’entretien des voitures par exemple est assuré par de jeunes mécaniciens de compétition en formation. Les voitures sont identiques,  préparées de la même manière et les châssis tirés au sort avant chaque épreuve. Les carrosseries portent les sponsors spécifiques à chaque pilote. 

Formule Campus 

Au total, 60 voitures seront confiées à de jeunes apprentis pilotes. Parmi eux, Franck Montagny, Sebastien Bourdais, Nakajima, Romain Dumas, ou Oriol Servia. Le championnat durera 10 ans. La Formule Campus réussit son pari de faire passer de jeunes pilotes du Kart à la monoplace. Il permettra également à de jeunes mécanos du Lycée technique du Mans de faire leurs premiers pas en compétition et d’obtenir un BT de technicien compétition. “Les pilotes et les mécanos avaient le même âge”, se rappelle Daniel. 

Une voiture pour succéder à l’Alpine 

Un jour Christian Contzen de Renault Sport, dit à Daniel : “Maintenant vous êtes devenu un petit constructeur automobile.” Même si Daniel Charles insiste sur la notion d’équipe, cette remarque de Contzen n’est pas sans arrière pensée. L’homme fort de Renault Sport a une idée derrière la tête. En tant qu’administrateur de l’usine Alpine, il doit trouver une suite à l’Alpine A610 dont la carrière prend fin. Depuis le rachat de l’usine Alpine en 1972, Renault s’efforce de maintenir la mariée à flots mais cette fois, en absence de succès commercial, les nuages noirs semblent installés au-dessus de Dieppe pour un bon bout de temps. A la même époque Venturi lutte aussi pour survivre

Une voiture d’artisan 

Malgré tout, dans la grande maison Renault, flotte toujours l’idée de concevoir une remplaçante à l’Alpine. C’est Contzen qui tranche : “Si on le fait, on le fait avec Fior”. 
Celui-ci part sur un châssis aluminium. Il a déjà travaillé ce matériau pour concevoir des motos de course et l’alu possède de nombreux avantages. Il est léger, et absorbe bien les chocs et les vibrations. Le gros avantage de travailler avec Fior tient dans le fait qu’il a une vision globale du projet. Contrairement à la grande maison où de nombreuses couches hiérarchiques se superposent et où chaque détail doit attendre la validation de mille personnes, ici c’est Fior qui décide. C’est un gain de temps énorme, qui cadre tout à fait avec ce projet de production en petite série. 

L’araignée noire 

Le premier châssis roule sur la piste de Nogaro attenante à l'atelier et semble bien né. Mais évidemment il manque une carrosserie. Fior fabrique une carrosserie brute taillée à la serpe, pour tester les éléments mécaniques sur le circuit,  sans se faire repérer par les chasseurs de scoops. Sans aucune recherche stylistique évidemment, la voiture mulet est peinte en noir mat et se voit affublée du surnom d’Araignée Noire.  


Un design Renault 

La carrosserie définitive sera dessinée par le bureau de design du technocentre. Christian Contzen entretient d’excellentes relations avec Patrick Le Quément. C’est le jeune Benoît Jacob qui a déjà dessiné la Campus qui est retenu.  Ensuite viendront les artistes, comme monsieur Griffa armé d’un ruban de tirot noir mat. Il trace et retrace des lignes de quart, des angles et affine ce que sera le Spider. Cette fois c’est parti, la voiture commence doucement à vivre. 

Une vraie histoire d’amitié 

Daniel Charles lui,  fait d’incessants aller-retour entre Paris, Dieppe et Nogaro. Au fur et à mesure de ses séjours à Nogaro, une vraie amitié se noue entre les hommes. Fior accueille Daniel et l’héberge chez lui. “On passait nos soirées à échanger, à causer de … devinez? de bagnoles. Les idées ne manquaient pas. C’était une période passionnante. Le soir tard, je montais me coucher au grenier sur un lit picot cerné de piles de Moto Revue. C’était un vrai passionné, de moto  de voitures d’avions d’abord. Il avait couru en moto et construit une magnifique moto Grand Prix et  comme beaucoup de motard il avait des broches dans chaque membre.”

Alpine sombre  

L’idée de départ du projet Spider est clairement d’occuper les 200 employés de Dieppe dont l’aventure Alpine touche au but. Il faut remettre les choses dans le contexte pour les plus jeunes, ou ceux qui l’auraient oublié, mais la dernière année de commercialisation de l’A 610, Alpine écoule 14 voitures ! Pourtant, d’emblée les “gars de Dieppe” voient le projet d’un mauvais œil, “sur l’air de si on avait eu le budget on aurait pu le faire”. Crime de lèse majesté, le spider est conçu à Nogaro et non à Dieppe dans le fief Alpine. Dès lors, la suite sera plus compliquée, il faut apprendre aux deux camps à travailler ensemble. 

Donner du boulot aux gars de Dieppe 

Daniel fait une pause de plusieurs secondes et se lance : “Il n’y avait plus de bureau d’étude chez Alpine. Donc c’était impossible de développer le véhicule chez eux. En revanche,  tout était fait pour conserver l’emploi à Dieppe. C’était même la motivation numéro un de ce projet. Il faut rendre hommage à Renault dans l’histoire d’Alpine. Depuis le rachat d’Alpine en 1972, si Renault n’avait pas été là, Alpine aurait sombré définitivement. Quand on leur a présenté le projet Spider, ils assemblaient des Espace et des Clio société. C’était quand même un immense gâchis mais cela évitait une fermeture pure et simple du site.  Le Spider aurait dû fédérer tout le monde, mais cela n’a pas été le cas. Il y avait un sérieux décalage de culture entre les gens de Renault, de Nogaro et les Alpinistes de Dieppe. Ils n’ont pas compris qu’on venait leur donner du boulot”.

200 kilos de trop 

C’est un fait, tout le monde a toujours trouvé le Spider Renault un peu trop lourd pour 
pouvoir rivaliser avec une Lotus Elise par exemple. Daniel confirme : “Elle faisait 100 kg de trop par rapport au cahier des charges.” En effet, entre la présentation du Spider au salon de Genève 1995 et la commercialisation, le poids indiqué sur la  fiche technique passe de 790 kg à 930 kg avec le saute-vent ou 965 kg avec le pare-brise.” Mais pourquoi une telle différence de poids? 

“La première cause vient du fait que la grande maison a préféré assurer côté normes de chocs. Une petite cellule de trois personnes (Didier Deffrasnes, Martial Hetier et Jean Michel Demaldent) a été montée à Renault Sport Technologie. Ils étaient chargés de la coordination ,de l’homologation et des achats.” se souvient Daniel. “La seconde raison c’est tout simplement qu’à Dieppe, on ne  savait pas faire de carrosserie de moins de 5 mn d’épaisseur sans défauts d’apparence. Si on fait plus épais, on fait aussi plus lourd” confirme Daniel Charles. “La faute à des approximations aussi. Claude Fior avait conçu un saute-vent léger, facile, et efficace. Une sorte d’aile inversée qui fonctionnait très bien et se montrait légère.  La version finale, revue par le bureau d’études, pèse 20 kilos et est nettement moins efficace. 

Renault Sport ou Alpine ? 

Ce qui est dingue c’est que le Spider aurait tout à fait pu devenir une Alpine, succédant à l’A610. Une fois finalisé,  le prototype du Spider doit être présenté à la direction de Renault, pour validation. La scène se passe au Technocentrea. L’équipe présente à Louis Schweitzer, alors PDG du Groupe Renault, deux voitures. Une jaune badgée Renault Sport, et une bleue badgée Alpine. Schweitzer est séduit par le Spider et semble privilégier l’option “bleue”. A ce moment, Christian Contzen se penche vers son patron et lui demande : “A quoi ça sert qu’on dépense des centaines de millions chaque année pour gagner en Formule 1 et promouvoir la marque Renault Sport, si on sort ce Spider sous la marque Alpine?”. L’affaire est pliée, Schweitzer approuve, le Spider ne sera pas une Alpine. 

Parallèlement à l'industrialisation de la version route, une version compétition est étudiée pour participer à la Coupe d’Europe Renault Elf. Ce sera le Spider Trophy, muni d’un peu plus puissant de 180 ch et d’une boîte séquentielle. Soixante exemplaires seront construits. 

Une aventure unique

Aujourd’hui l’aventure du Spider apparaît toujours comme une exception notable. Quel constructeur généraliste construirait aujourd’hui une voiture aussi radicale, en petite série et avec une conception aussi décalée? Le Spider reste une exception, et une voiture plaisir, une espèce plus que jamais en voie d’extinction. 

Merci à Daniel Charles, véritable mémoire de l’automobile 

Illustrations : Renault, Cars Design Archives et archives personnelles Daniel Charles

Nicolas Laperruque

 

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