10 janvier 2021

MON AMI HUBERT

Je n’arrive pas à réaliser. Je n’arrive pas à me dire qu‘Hubert ne sera plus jamais là pour me rappeler les bons souvenirs, armé de son éternel sourire. Je ne peux pas croire qu’il ne me fera plus de clins d’œil de connivence à l’évocation de son vieux pote Eric.

 

Car Hubert Auriol & Eric Breton c’était comme qui dirait cul et chemise. J’ai connu Hubert tout de suite après ma rencontre avec Eric. A l’époque Eric bossait à Moto Verte et Hubert tentait, vaille que vaille, de survivre en vendant du tissu en gros, ce qui n’a duré qu’un temps finalement assez court, au vu de son engouement pour ledit métier…

Eric et moi on voyait de plus en plus souvent Hubert, et inévitablement, vous imaginez bien que la conversation roulait toujours autour des bécanes et de l’enduro. On se refait pas.

 C’est comme ca qu’on s’est retrouvés au beau milieu du championnat de France d’enduro, je vous parle de ça, c’était bien avant le Dakar, Hubert ne rêvait pas encore d’Afrique ni de sable chaud, il était plutôt dans son trip « boue et châtiments » lol. Eric devrait couvrir le championnat pour Moto Verte. Accessoirement il avait décidé de le courir aussi, et Hubert itou. Nous voilà donc avec deux pilotes. Mais qui donc va faire les photos de la course pour MV ? Tintin pardi. Et qui va conduire la caisse pendant que ces messieurs se reposent de leurs dures épreuves ? Bah Tintin. En plus je la connais, conduire elle adore ça ! Ben tiens.

le numéro 120 c'est Eric Breton concurrent avec Hubert sur le Dakar

Hubert n’avait que peu d’exigences, je le reconnais. Il lui suffisait de terminer le weekend par un resto gastronomique. C’était absolument impératif. Aujourd’hui, cela paraît presque simple mais à l’époque, fauchés comme on l’était, cela relevait de l’exploit pur et dur. Hubert avait trouvé la solution. Primo et vu qu’il n’avait pas de bagnole, il fallait emprunter une caisse à un pote –dont la liste a fini, à la fin de la saison, par se réduire comme peau de chagrin, vous devinez pourquoi- deuxio il fallait économiser sur l’intendance pendant tout le weekend afin qu’il nous reste, le dimanche soir, suffisamment pour manger comme des princes dans les meilleures tables de France et de Navarre. Pas simple. 

Mais, je dois reconnaître qu’on y est toujours arrivés, quitte à vivre comme des romanos du vendredi soir au dimanche soir. On dormait dans des espèces de gourbis pompeusement baptisés gîtes, à trois dans la même piaule, avec WC à la turque et douche sur le palier, et on mangeait des sandwiches SNCF, en pensant avec envie au lendemain soir, où l’on franchirait la porte des Greuze, Pic et autres Loizeau pour nous en mettre plein les papilles… J’ai ainsi le souvenir d’un grenier (je ne vois pas d’autre terme) à Oléron ou d’un cagibi à Beaune, qui empestaient la chaussette usagée et les bottes de moto mouillées, où l’on dormait sur des matelas posés par terre, mais c’était le temps des copains et de la rigolade, on s’en fichait, la vie était belle surtout quand, le dimanche soir, le maître d’hôtel vous glissait dans l’oreille : « suprême d’écrevisse au homard ». Heureux temps.

Hubert avait donc manifesté très tôt son appétit pour la vie et pour la bonne chère, celle des mets raffinés. Restait le meilleur : son amour pour l’aventure, les pistes oubliées et l’Afrique.

Tout naturellement dès que Thierry a parlé d’organiser son premier Paris-Dakar, on s’est retrouvés sur le coup. Comment aurait-on pu passer à côté de ça ? On ne s’est même pas posés la question, cette course était faite pour nous. Pendant qu’on échafaudait des plans pour trouver une bécane, un financement ou une assistance, on faisait des dîners à Paris, chez l‘un, chez l’autre. A vrai dire c’était souvent chez nous car Hubert n’avait pas encore rencontré la belle Caroline et ne s’était pas encore « installé dans la vie » comme on disait à l’époque. La table était plutôt garnie, les soirées animées voire enflammées et les concerts nombreux car avec Eric on habitait à 50 mètres du Palace… pratique pour aller écouter Moon Martin ou Depêche Mode. Notre fine équipe comptait les Gilles Gaignaut, Philippe Vassard, Philippe Cornut, Jean-Louis Bernardelli, Gilles Mallet, Michel Delannoy et tant d’autres qu’ils me pardonnent de ne pas tous les citer ici.

Une fois le départ du Dakar donné, on s’est tous retrouvés dans les galères que l’on sait et que d’autres ont racontées mieux que moi, et les liens tissés à Paris se sont renforcés. Normal, le désert et la piste c’est comme la mer, ça détruit le friable et ça renforce le solide. On était maintenant comme une famille, une fratrie incroyable de potes à qui l’on peut à peu près tout demander. Unis comme les doigts d’une main. Le bon-heur !

Les dîners avaient repris et Caroline était entrée avec bonheur dans la vie d’Hubert. Désormais il pouvait nous cuisiner chez lui des recettes incroyables, et laisser libre cours à son côté fin gourmet. Un Dakar, deux Dakar, puis trois, une victoire puis deux, et la suite…. Hubert était devenu le chouchou des aficionados, puis celui de toute la France, amoureuse de ce grand gaillard au sourire enjôleur une vraie pub pour Gibbs et pas bégueule pour un sou. Au passage, il aurait sans doute pu se la jouer, étant héritier du président Vincent Auriol, et Caroline elle-même petite fille du Général de Gaule (on les a tellement chambrés avec ça.. lol) mais non, Hubert c’était Hubert, le sourire d’abord, la gentillesse et la simplicité ensuite.

A partir de ce moment, Hubert était devenu une star, on le voyait dans tous les médias et il était connu de tous. Nos vies avaient pris des tournures quelque peu différentes mais notre ami était resté notre ami, et on se voyait toujours autant. On a eu nos premiers enfants au même moment, Hubert est devenu le parrain de mon fils Jules et Caroline ma « témouine » de mariage quand, un beau jour, nous avons décidé d’officialiser notre relation, personne ne sait encore aujourd’hui pourquoi, mais bon ils étaient là. Ils ont toujours été là. C’était magique.

En 1987, je bossais comme essayeur à AutoHebdo et j’avais été conviée à rouler dans la 205 T16 d’Ari Vatanen à l’arrivée du Dakar, c’est pour cela que j’étais là, sur la ligne d’arrivée de cette funeste avant-dernière spéciale. Hubert se tirait une bourre d’anthologie avec mon copain « petite fourche » alias Cyril et la bagarre pour la victoire était passionnante.

Lorsque mon ami Hubert est arrivé en perdition totale. 

C’est à moi qu’il a dit : « j’ai les deux jambes cassées », c’est moi qui ai tenu sa moto lorsqu’on l’en a descendu et qui lui épongeais le front pendant qu’on ouvrait ses bottes pour découvrir l’horreur. Et c’est à moi qu’il a dit avant qu’on l’emmène dans l’hélico : « tiens, je te confie mon casque, la moto c’est Eric, et seulement lui, qui l’amènera jusqu’à Dakar ». C’est ça la confiance. L’amitié, la vraie.

Deux jours plus tard, à ma descente d’avion, je suis allée lui rendre son casque dans sa chambre d’hôpital. Je n’oublierai jamais qu’il a éclaté en sanglots en me voyant. Tous ses souvenirs remontaient à la surface d’un coup, c’était trop… on a pleuré dans les bras l’un de l’autre. Mon cher Hubert meurtri. 

Les années d’amitié ont continué ainsi. Emaillées de franches rigolades et de merveilleux souvenirs. Eric vouait une admiration amicale pour Hubert. Hubert avait un frigo américain, il voulait le même, Hubert roulait en Range, il m’en a acheté un. Je le chambrais avec ça et il me répondait : « t’inquiète pas, lui il rêve d’écrire comme moi ! ». 

C’étaient les années bonheur, celles où j’avais sans arrêt les filles d’Hubert & Caroline à la maison, où je les emmenais, avec mes fils, au Futuroscope, chez Astérix,à Deauville, peu importe, on faisait des charters de mômes et la tribu des enfants Breton-Auriol s’entendait comme des gosses en colo. Hubert avait monté son resto du Pont de Suresnes avec Guy Savoye et Caroline recevait les enfants pour des goûters incroyables avec d’énormes plâtrées de frites, ce qui les ravissait vous pensez bien. Elle était parfaitement complémentaire de son mari et, quelque part, ils constituaient le couple idéal, celui que Paris-Match aime à montrer en couverture. En même temps ils restaient si simples et naturels, de vrais amis comme ils l’avaient toujours été.

Lorsque la vie nous a séparés, Caroline & Hubert, Eric & moi, on s’est évidemment un peu perdus de vue. Mais, à chaque occasion de nous revoir, nous avons vécu cela comme un vrai bonheur. Même si nous sentions que rien ne serait jamais plus comme avant. C’est la vie, Paulo, qu’est-ce qu’on y peut ?

Caroline était toujours aussi jolie, aussi souriante, aussi rayonnante, Hubert avait toujours son éternel sourire. Mais c’était pu comme avant. 

Même quand la maladie l’a frappé, jamais Hubert ne s’est départi de son courage, jamais son sourire ne l’a quitté. Les dîners des anciens du Dakar nous ont permis de nous revoir souvent, ainsi que les manifestations organisées à l’initiative de l’ami Philippe Vassard, le salon moto de Lyon en 2018 ou la célébration du 40ème anniversaire du départ du premier Dakar au Trocadéro en 2019, le mariage de Philippe et Emma en 2019.... Je remercie chaleureusement Phiphi car c’est à lui que je dois d’avoir pu revoir Hubert aussi souvent. Mais on le savait malade, on le voyait souffrir et cela nous désespérait de ne pouvoir rien faire de plus que d’être là, à ses côtés, pour l’épauler. Autant que faire se peut.

Puis, en mai dernier, Eric nous a quittés et j’ai vu qu’Hubert était sincèrement touché. La mort de son ami l’a affecté plus qu’il n’en a laissé paraître. 

Ensuite, en fin d’année, on a plongé dans l’horreur. Hubert hospitalisé, touché par cette saleté de Covid. Caroline qui me donnait se ses nouvelles, me disant qu’il se bat comme un lion (comment pourrait-il en être autrement ?)  et puis, elle aussi, fauchée à son tour, comme si la fatalité s’acharnait sur cette famille. Et maintenant c’est au tour d’Hubert. 

Aujourd’hui, je me sens seule. Abattue et perdue. Il ne me reste que nos souvenirs, nos merveilleux souvenirs. Plus  personne que moi pour les évoquer. Je me sens orpheline. Ils m’ont tous abandonnée. Puissent-ils être heureux là où ils sont, et reposer en paix.

Je voulais juste dire à Hubert, Caroline et Eric que je les aime et j’embrasse très fort, du fond du cœur, mes adorables chéries, Julie, Jenna et Leslie.

Martine "Tintin" Renier 

 

 

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