17 juin 2020

Dakar 1994 : l'étape infranchissable

Aussi loin que je me souvienne,  le Dakar a toujours exercé sur moi une immense fascination. Si les premiers Dakars gardent une saveur particulière aux yeux des passionnés, les “Dakar modernes” ne manquent pas de moments de bravoures. C’est le cas de l’édition 1994, et une étape en particulier qui resta gravée dans les mémoires des participants. L’histoire que je vais vous raconter aujourd’hui n’est pas la plus connue, mais probablement un des plus beaux morceaux qu’ai connu la course des pros.

Retrouvez la version audio ( Podcast de cet article à la fin de cette page )

Dakar 1994, ou plutôt Paris-Dakar-Paris, le rallye étant pour la première et unique fois avec un sens retour. Depuis quelques années l’épreuve semble s'essouffler, l’absence de Vatanen chez les autos, retenu sur le championnat du monde des rallyes et de Peterhansel chez les motos, suite à un forfait de Yamaha semble vouloir confirmer que cette édition sera moins passionnante. Il n’en sera rien. 

Duel Citroën/Mitsubishi

La course auto consiste depuis le départ à un traditionnel duel Citroën/Mitsubishi. 
Dans la 11ème étape, qui relie Atar à Nouhadibou, un immense cordon de dunes attend les concurrents. Le triangle des dunes mortes, long de 28 kms, jamais franchit en compétition. Lartigue est en tête chez Citroën et la course semble acquise à la marque aux chevrons.
Seulement, pour gagner une course,  il faut arriver et au bout de quelques dizaines de kilomètres tout le monde est tanké. Amateurs, professionnels, motos ou voitures, tout le monde est arrêté et personne ne semble progresser dans ces cathédrales de sable mou. Rapidement il devient évident aux yeux de tous que cette étape est infranchissable. 

Infranchis-sable 

Les pilotes de tête sont séparés en deux groupes : Jean-Pierre Fonenay et Bruno Saby qui progressent pas à pas sur le parcours initialement prévu afin de valider les contrôles de passages.  Ils répètent inlassablement les mêmes gestes : rouler quelques mètres, s’ensabler, descendre du véhicule, sortir les pelles et les plaques de désensablage, et recommencer, indéfiniment. 
Les Citroën, de Lartigue et Auriol au milieu de l’infinité désertique sont réunies en conseil de guerre. Auriol l’africain, surnom donné à Hubert tant il connaît le terrain et Pierre Lartigue, ancien chauffeur routier devenu à force de passion et de travail, pilote officiel de la marque. 
L’ambiance est électrique quand Fenouil, organisateur de l’épreuve, pose son hélico sur la spéciale et va à la rencontre des pilotes en rouge. 

Citroën renonce à passer 

Fenouil, venu expliquer aux Citroën que la course continuait et qu’il fallait respecter le trajet prévu, se fait répondre par Hubert qu’il devra prendre ses responsabilités en cas de soucis puis se fait vertement allumer par un Lartigue au bord de la crise de nerfs “ça passe pas Fenouil !! ça passe pas !! même tes ouvreurs ne passent pas, il n’y a pas eu d’ouvreurs ce matin, c’est justement parce qu’ils ont pas réussi à passer”. Malgré la menace d’une pénalité de cinq heures, les Citroën décident de contourner la difficulté, suivis par l’ensemble de la caravane.
Pendant ce temps, les Mitsu boys progressent mètre par mètre, au prix d’efforts incroyables. La nuit ne tarde pas à tomber, à la lumière des phares la valse des plaques de désensablage continue, les copilotes faisant le trajet à pied pour tenter de trouver le sable dur. Les dunes mortes sont franchies péniblement. L’odeur d’embrayage brûlé progresse lentement dans la nuit Mauritanienne. Alors que les ZX arrivent au bivouac à 4h30 du matin, les Pajero sont prisonniers de cette mer de sable.

A la recherche des Mitsu 

A la levée du jour, les organisateurs sans nouvelle des Mitsubishi de Fontenay et Saby  font décoller une équipe de reconnaissance. Ils s’attendent à trouver les équipages endormis, ayant abandonné toute volonté de rejoindre l’arrivée. 
C’est alors qu’ils découvrent Dominique Serieys et Bruno Musmara , hagards marchant devant  leurs voitures, à la recherche du chemin qui les fera sortir de l’enfer. Les navigateurs ont marché, toute la nuit, dans l’obscurité, en puisant dans leurs dernières forces pour trouver une sortie à ce désert. Remuant le sable à mains nus, poussant leur véhicule, dans l’aridité totale et l'éblouissement des phares, en prenant soin de leur mécanique, guettant le moindre bruit dans le silence. Où ont ils trouvé la motivation nécessaire pour mener ce combat perdu d’avance face au désert?  Quand l’hélico télé se pose et vient à leur rencontre, on voit Bruno Saby dans un état mêlé d’épuisement et d'excitation expliquant n’avoir jamais connu ça, sur aucun Dakar, ni aucune course de sa très longue carrière. Ils sont partis la veille et Bruno Saby court encore dans le sable mou, prenant à peine le temps de répondre aux questions, comme si chaque seconde était encore importante. L’adrénaline de la course n’est pas retombée. A 14h00 plus d’une journée après avoir pris le départ de la spéciale, les protos japonais atteignent le fameux point de contrôle numéro 8. 24h pour franchir 10 km de dunes. Ils seront les seuls. Ils viennent de réaliser l’exploit. La course est gagnée pensent ils. Malheureusement pour eux, à cette heure ci  le classement est déjà établi, et ils n’y figurent pas!

Dégoûtés mais fiers 

Sous la pression de l’état major de Citroën, et de l’ensemble des autres concurrents, aucun autre équipage n’ayant réussi à franchir les dunes, la course est neutralisée au km 246. Le vainqueur d’étape est Lartigue, devant Auriol. Fontenay et Saby, les héros du jour sont...hors délai!
Dans le clan Japonais, la consternation est à son comble et le dégoût l’emporte. Les hommes sont épuisés, les machines aussi. Ulrich Bremer emblématique team manager de l’écurie Nippone retire immédiatement ses véhicules de la course. 
Plusieurs années plus tard, les quatre hommes ayant participé à cet exploit s’en rappellent encore comme de la pire expérience de leur vie, mais aussi sûrement celle dont ils seront les plus fiers. 

 

Nicolas Laperruque 

Merci à Brieuc Harivel, à Antoine Morel et à toute l'équipe MD RALLYE Sport 

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