15 octobre 2020

Giovanna Amati, une femme en F1 !

Une femme en F1, je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. Pourtant dans l’histoire du sport automobile, elles sont quelques unes à s’être illustrées derrière un volant. On se rappelle évidemment de Michèle Mouton, ratant le titre de championne du monde en 1982 de peu, ou plus tard de Jutta Kleinschmidt première femme à remporter un Dakar en 2001. Peu de femmes ont connu le privilège de se glisser dans le baquet d’une Formule 1 et seulement 5 d’entre elles ont à ce jour vu leur nom inscrit officiellement sur la liste des participant(es).

 

Maria Teresa de Filippis (Ita) 1958-1959 : 5 courses, 3 départs

Lella Lombardi (Ita) 1974-1976 : 17 courses, 12 départs, 0, 5 point

Davina Galica (GB) 1976, 1978 : 3 courses, 0 départ

Desiré Wilson (SA) 1980 : 1 course, 0 départ

Giovanna Amati (Ita) 1992 : 3 courses, 0 départ

Pauvre petite fille riche 

Aujourd’hui c’est l’histoire de la dernière en date que ce bon vieux Niko va vous raconter. Giovanna Amati voit le jour dans l’Italie bourgeoise le 20 juillet 1959 à Rome. Elle est la fille de Giovanni Amati, riche producteur de cinéma Italien connu pour avoir produit les premiers films de Sophia Loren. Sa mère, Anna Maria Pancani, est une actrice plus connue pour sa fortune que pour sa modeste carrière. La petite Giovanna naît donc avec une cuillère en or massif dans la bouche mais cette jeunesse dorée ne l’empêche pas d’avoir une passion dévorante, la vitesse. 

Dingue de vitesse 

A 12 ans, la ragazza a l’habitude de partir seule sur la route de Vallelunga au guidon de sa petite 50cm3, parcourant le trajet de plus en plus vite chaque jour. Le poster d’Emerson Fittipaldi décorant le mur de sa chambre d’adolescente tranche avec la coquetterie affichée de la demoiselle. Pour ses 15 ans, Giovanna s’offre une Honda 500cc en piochant dans son argent de poche et en se gardant bien d’en tenir informés ses parents qui ne découvriront la bécane qu’au bout de deux ans. Mais si bientôt toute l’Italie va se passionner pour la jeune femme c’est pour une toute autre raison.

Giovanna Kidnappée ! 

En 1978, règne sur l’Italie, un climat d’anarchie et de violences politiques. Au milieu de tout ça, un Français expatrié en Italie, Daniel Nieto, sévit à la tête de “La bande des Marseillais”. Un gang de voyous spécialisé dans les braquages, le trafic de drogue et les enlèvements de riches héritiers. Ils kidnappent Giovanna, au petit matin, alors que celle ci est tranquillement assise dans la rue, près de la luxueuse propriété familiale, après une nuit passée en boîte de nuit. L’enlèvement est facile mais les ravisseurs n’en tiennent pas compte dans leur demande de rançon et réclament l’équivalent en lires de 933 000 dollars de l’époque. Après l’avoir faite monter dans une camionnette puis cachée quelques jours dans une maison proche, les 3 gangsters enferment Giovanna dans une cage en bois pendant 75 jours. La justice, saisie de l’affaire, bloque les avoirs de la famille Amati afin d’empêcher toute tentative de paiement de la rançon. Le père de la victime, propriétaire d’une chaîne de cinémas, utilise alors les recettes de l’immense succès Star Wars pour payer la caution, après avoir également vendu les bijoux de sa femme. 

Syndrome de Stockholm

Giovanna est libérée mais cette histoire abracadabrantesque ne s’arrête pas là. Les enquêteurs devinent rapidement qu’une idylle est née pendant la captivité entre la jeune fille de 17 ans et son kidnappeur de 31 ans. Cette charmante illustration du syndrome de Stockholm n’attendrit pas les policiers. Les deux tourtereaux ont prévu de se revoir quelques jours après la libération, et un rendez vous secret est fixé. L’amoureux arrive avec un bouquet de roses mais il n’aura pas le temps de les offrir à Giovanna. Les policiers le menottent devant la future pilote. L’adolescente rebelle est en larmes, elle aura beau crier qu’il n’avait rien fait de mal, Daniel Nieto est condamné à 18 ans de prison pour viol et séquestration. Le choc est dur pour la jeune Italienne, d’autant que tous les journaux du pays se sont emparés de la rocambolesque histoire d’amour.

Fin de cavale 

Quelques années plus tard Giovanna assurera à qui voulait l’entendre que cette love story n’était qu’une fiction inventée par la presse à scandale. Nieto, lui attendra 11 ans avant de bénéficier d’une permission qui se transformera en cavale. Il vivra pendant des années à Paris, régulièrement cité dans des affaires de banditisme mais sans jamais être inquiété pour son évasion, la France n’extradant pas ses propres ressortissants. Se croyant sûrement à l’abri de représailles il se fera bêtement coincer par la police Italienne lors d’un simple contrôle d’identité en 2010 dans un train roulant en direction de Rome.

Ellio de Angelis, frère de passion 

Toutes ces péripéties auraient pu calmer les ardeurs de la casse cou, il n’en sera rien. Le déclic la projetant vers une carrière de pilote viendra de son ami d’enfance, lui aussi riche héritier Italien, Ellio De Angelis. Le futur pilote de F1 au destin tragique, témoin de la passion dévorante de son amie, la pousse à suivre des cours de pilotage. Argumentant qu’elle le regretterait toute sa vie si elle ne commençait pas à courir. Giovanna devient donc lentement pilote. Les débuts sont timides, en 1981 elle débute en Formule Italia, puis en Formule Abarth, s’offrant tout de même quelques victoires. Elle devra attendre 1985 pour atteindre le championnat Italien de Formule 3. L’apprentissage se poursuit avec son lot de mésaventures comme elle le raconte dans son livre Fast Life “Je devais souvent changer la décoration de ma voiture. Comme ça les autres gars ne pouvaient pas m’identifier d’une course à l’autre. Pour eux, c’était inconcevable d’être battus par une femme. Ils préféraient souvent provoquer un accident que de me voir les dépasser.”

Test en F1

En 1986 elle pose son fessier dans le cockpit étroit d’une Benetton B186 comme en témoignent les photos rares que nous avons retrouvé. Aucune information fiable au sujet de ce test, nous savons juste qu’elle a effectué quelques tours au volant avec le surpuissant BMW Turbo dans le dos. J’ignore si c’était pour un vrai test ou pour la kermesse de l’école mais cette séance de roulage est souvent confondue avec celle dont elle bénéficiera quelques années plus tard dans la même écurie. L’abnégation, quelques rares bons résultats, et surtout une belle valise de billets finissent par la propulser en Formule 3000. La catégorie, considérée à l’époque comme l’antichambre de la F1 est certes la dernière marche à franchir pour réaliser son rêve mais aussi la plus difficile.

Pas facile d’être une femme en sport automobile 

La première saison se solde par un échec cuisant puisque sur 4 tentatives elle ne réussira à qualifier sa Lola T87 Cosworth qu’à une occasion, lors de la course de Donington. La saison 1988 verra la pilote se qualifier 4 fois en 8 tentatives, avec pour meilleur résultat deux 10èmes places à Monza et Jerez. Cette course qu’elle finit devant Jean Alesi accouche d’une anecdote croustillante. Le jeune avignonnais au sang chaud, qui cette année là doit se débattre au volant d’une des pires monoplaces du plateau passe l’essentiel de la course calé dans la boîte de vitesse de la Transalpine sans jamais parvenir à la dépasser. Furibond, il bondit, à peine la ligne d’arrivée franchie, sur Laurence, son épouse avec ces mots : “personne à Avignon ne doit apprendre que j’ai fini derrière une femme!!! Personne et jamais !!”. Le même Alesi, qui des années plus tard en DTM, se faisant doubler par Susie Wolf, hurlera dans sa radio “Faites la dégager !”, ce à quoi son équipe, hilare, lui répondit “Mais Jean, on ne peut rien y faire, il faut que tu la dépasses toi même !”. Sacré Jean.

Saison catastrophique en F3000

Après une année catastrophique en F3000 japonaise, Giovanna Amati revient au bercail en 1990, en championnat européen. Cette fois elle dispose d’une performante Reynard 90D Cosworth de Roni Motorsport. Un changement de crèmerie en milieu de saison pour rejoindre Cobra Motorsport n’y changera rien, Giovanna n’est pas dans le rythme. Elle ne se qualifie dans les 26 admis à chaque course que 2 fois en 10 manches.

Giovanna la bagarreuse 

Elle aura son petit quart d’heure de gloire durant l’été après la course d’Hockenheim en essayant d’assommer avec une bouteille d’eau en verre un pilote passé un peu près d’elle en lui prenant un tour. Le pilote, Phil Andrews, ne devant son salut qu’à l’intervention d’un mécanicien. La bouillante Italienne se tenant à l’entrée du stand avec un regard qui ne laissait que peu de place au doute. De toute évidence, elle n’était pas venue proposer un verre d’eau à son concurrent.

Pourtant le répit sera de courte durée. Quelques semaines plus tard, lors d’une séance d’essais à Oulton Park, Phil est lancé à 260 km/h dans le virage le plus dangereux du circuit. Devant lui, Amati roule doucement, probablement dans un tour de décélération. Difficile de savoir si la manoeuvre est voulue ou non, mais toujours est il qu’une fois arrivé au niveau de l’Italienne, Phil Andrews voit celle ci faire un violent écart de trajectoire. Sa roue avant droite touche la roue arrière gauche de Giovanna. Inexorablement la monoplace s’envole vers les airs avec à son volant un Phil Andrews impuissant. La tête d’Andrews heurte violemment le volant, le pilote perd connaissance et se réveille, totalement indemne à l’hôpital.

La carcasse de la voiture témoigne de la violence du choc et de la chance inouïe de son pilote. La suspension avant ayant arraché la coque, et étant passé à a peine quelques centimètres de ses jambes, c’est un miracle que Phil Andrews puisse encore marcher aujourd’hui. Une fois rentré au circuit Phil retrouva Giovanna sanglée dans sa monoplace et pas très fière d’elle. Elle refusera catégoriquement de s’excuser ni même de s’expliquer, provoquant la colère du pilote. Il faudra l’intervention de plusieurs mécaniciens pour éviter à Giovanna de se prendre ce jour là la raclée de sa vie.

Un second test grâce à ce bon vieux Flavio 

En 1991, la belle Italienne termine sa 5ème saison en F3000 égalant le record de présence du sympathique Paul Belmondo, dans une catégorie où la règle implicite veut qu’on ne soit que de passage. Giovanna en est consciente, elle ne pourra pas rempiler indéfiniment. Le hasard faisant parfois bien les choses, elle rencontre au même moment son flamboyant compatriote Flavio Briatore. Une idylle voit le jour, elle tombe éperdument amoureuse du playboy jetseteur. Coïncidence incroyable, après une carrière comme cadre supérieur chez le fabricant de pulls Benetton, Flavio, beau comme Crésus, est désormais patron tout puissant de l’écurie éponyme. Le sémillant dirigeant de l’équipe de F1 pensant alors, sûrement objectivement détenir la future championne du monde de Formule 1 lui propose un test au volant de la Benetton B191. Elle boucle 30 tours en essais privés. La pudeur transalpine pousse l’équipe à ne pas communiquer les temps au tour. Giovanna a touché le rêve du bout des doigts mais ses minces espoirs de rejoindre une écurie de F1 s’envolent en même temps que le jet privé de Flavio.

La F1, enfin !

Giovanna commence à scruter les places disponibles de l’autre côté de l’atlantique en Formule Indy quand son téléphone se met à sonner un soir de Janvier. Au bout du fil, Bernie Ecclestone qui lui laisse entrevoir la possibilité de prendre un baquet chez Brabham. Normalement les places sont prises dans ce qui reste de la vénérable écurie Anglaise. Eric Van de Poele et Akihiko Nakaya ont signé leurs contrats mais le japonais vainqueur du championnat du Japon de F3 voit son contrat cassé faute de validation de sa super licence par la FIA.

La possibilité de voir le baquet du pilote de l’archipel occupé par une femme et le coup de pub associé à cette possibilité, a peut être pesé dans la décision mais rien ne le prouve. Pour Giovanna, le sentiment est partagé. Pour la première fois on lui propose un volant dans la catégorie reine du sport automobile mais elle n’est pas certaine de pouvoir répondre favorablement. En effet, le volant vaut plusieurs millions de dollars et même si elle est issue d’une famille aisée, elle ne possède pas le budget.

Le pouvoir à la rescousse 

Comme souvent dans la carrière de la belle Italienne, la chance vient frapper à sa porte. Ou plus exactement Giulio Andreotti, fraîchement élu premier ministre d’Italie et accessoirement connu pour ses multiples mandats, sa belle carrière sous le régime fasciste et ses liens avec la mafia. Il se trouve que le Giulio est aussi un très bon ami du défunt père de Giovanna. La pilote a un rendez vous avec le nouveau premier ministre à 5h45 du matin, elle ne dort pas de la nuit, stressée par l’enjeu..

Ne me demandez pas comment il a fait, je n’en sais rien mais quelques minutes plus tard, tout est arrangé, la fille de son vieil ami pourra se payer ce volant en F1 pour la saison 1992. Giovanna se contentera de déclarer “il m’a aidé à trouver des investisseurs”. Conséquence directe ou non, la belle Italienne arborera une combinaison blanche et bleue avec un bel encart Marlboro.

Brabham compte sur Giovanna pour faire le buzz 

Giovanna et Brabham échangent leur consentement mutuel, ou plutôt un chèque contre un contrat de pilote, paraphé le 5 février 1992. Mais le temps presse, et nous sommes à moins de 3 semaines du premier grand prix de la saison, se déroulant à Kyalami en Afrique du Sud. Elle ne pourra pas tester la voiture avant ses débuts officiels.

L’écurie Brabham n’est plus que l’ombre de celle qui trustait les premières places au début des années 80. Le manque cruel de moyens et de sponsors a poussé les ingénieurs de l’équipe à se contenter d’une Brabham BT60B, simple évolution du modèle précédent, lui même déjà dépassé. Le but à peine caché du recrutement de Giovanna est de faire le buzz pour trouver des sponsors.

Giovanna superstar 

Les appels des médias du monde entier se succèdent sur la ligne de Giovanna, et celle ci est confiante “Je n’en fait pas une obsession. Je me considère comme un pilote et le sport automobile comme une compétition. Je connais bien les pilotes qui composent la grille de départ puisque j’ai couru contre eux. Je ne vois pas de différence. Je me rends compte de l’impact que cela provoque mais j’essaie de ne pas y prêter attention.” (Auto Hebdo 18 février 1992). Elle balaye d’ailleurs les doutes concernant son manque de résistance physique comparé à un homme en déclarant que la F1 n’est pas fondamentalement différente d’une F3000.

Chicane mobile 

Alors que les photographes ont envahi le stand Brabham lors des essais du premier grand prix à Kyalami, les mécaniciens se hâtent pour finir de mouler le siège de l’Italienne qui est clairement sous pression médiatique. Les premiers essais libres se soldent par une différence de 10 secondes au tour sur les meilleurs. On pourrait se dire que Giovanna a choisit la prudence pour découvrir la monoplace mais le lendemain le niveau progresse à peine et la séance de qualification se solde par un échec.

Giovanna est à 9 secondes de Mansell, et elle rend 4 bonnes secondes à son équipier Eric Van de Poele. Amati enchaîne les têtes à queues. A ce rythme là les photographes quittent rapidement le stand Brabham. Non seulement Amati est une vraie chicane mobile mais les nombreuses sorties de route vont bientôt lui donner le surnom de toupie. Au moins à ce rythme là elle ne risque pas de casser son moteur Judd qui fuit de tous ses fluides. La voiture n’est clairement pas la meilleure mais Van de Poele parvient à se qualifier ce qui renforce le côté pathétique de la performance de l’Italienne. En effet, Andrea Moda a déclaré forfait, ce qui élimine d’office deux prétendants à la course (lire aussi :Andrea Moda, La pire écurie de l'histoire de la Formule 1).

A 5 secondes au tour de son équipier 

Pour Giovanna c’est une claque. On lui trouve des circonstances atténuantes, au premier rang desquelles l’absence d’essais d’intersaison et le manque d’expérience. Rdv est pris à Mexico pour la deuxième manche. Les mêmes causes provoquant les mêmes effets, Giovanna émerge à 10 secondes au tour avec cette fois ci 5 secondes d’écart avec son équipier.

Celui ci ne parvenant pas à hisser non plus sa monoplace poussive sur la grille. L’altitude de Mexico rend l’air rare et Amati confiera avoir plus eu l’impression de faire un footing que du pilotage. Le troisième rdv de la saison ne fera que confirmer cette performance avec là aussi un écart de 5 secondes, au moins l’Italienne est régulière.

Game over 

La situation de Brabham est préoccupante et une solution est trouvée avec l’arrivée de Damon Hill, fils de Graham, pour les mêmes raisons que Giovanna, afin d’attirer les sponsors.
La carrière de Giovanna en F1 s’arrête là, et la rumeur d’un come back dans l’été meurt en même temps que la disparition de l’écurie. Plus jamais l’Italienne ne pilotera dans la catégorie reine. Giovanna Amati reste à ce jour la dernière femme officiellement inscrite en F1.

Nicolas Laperruque 

 

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