28 avril 2020

Onyx-Moneytron, Ferrari en pagaille et casse du siècle en F1

“J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne c’est qu’il y a un capitaliste de moins sur cette terre. La mauvaise, c’est que c’est moi.” Ces mots sont ceux de Jean-Pierre Van Rossem qui les prononce devant un parterre de journalistes, le jour où tout s’est écroulé. Avant d’en arriver là, il y a eu la prison, les filles à la cuisse légère, 108 ferrari, des jet privés, des yachts, une écurie de Formule 1 et un algorithme réputé infaillible. Ou presque. 

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Une revanche à prendre 

Jean-Pierre Van Rossem est né en 1945 dans une modeste famille flamande. En 1970 il est arrêté une première fois pour une affaire de faux en écriture. Il est alors étudiant en mathématiques et économie. Derrière les barreaux, il s’en fait la promesse : puisqu’on n’est rien si on est pas riche, il va devenir milliardaire. Le soixante-huitard aux cheveux longs élabore dans l’ombre un modèle mathématique supposé anticiper les mouvements boursiers. 

A sa sortie, il crée sa société : Moneytron. Ce sera le début d’une des plus retentissantes histoires d’escroquerie financière, des années avant Madoff. 
Ses premiers clients seront les parents des étudiants à qui il donne des cours du soir en économie. Un jour, sentant une victoire du parti de Gauche aux élections hollandaises, il parie avec eux. Le parti adverse est archi favori, tous les étudiants,  qui ont misé quelques euros sont certains qu’ils sont perdus à jamais mais contre toute attente, le soir à 20h le résultat tombe, en leur faveur. Van Rossem et ses étudiants ont multipliés leurs gains par 13. Van Rossem invente une histoire d’algorithme, les étudiants rentrent chez leurs parents et deviennent les premiers commerciaux du nouveau gourou. 

L’argent commence à arriver et Van Rossem perfectionne sa technique. Il prétend qu’il suffit d’injecter des sommes colossales dans les marchés financiers pour arriver à prévoir, au moyen d’une équation dont il a le secret, les réactions des autres investisseurs. Le tout est géré par un énorme ordinateur caché dans une pièce derrière le bureau de Van Rossem. Endroit où personne, sauf lui n’a le droit d’aller. Van Rossem a réponse à tout, il promet une probabilité de gagner de 9 sur 12, contre une commission de 5%. Finalement, comme toujours dans ce type d’arnaque, les premiers clients seront les meilleurs attachés de presse de Moneytron. Le bouche à oreille devient mondial, Van Rossem reçoit de l’argent des 4 coins du globe, il est à la tête d’une fortune de 900 millions de dollars. 

Un passage en F1 remarqué 

Van Rossem aime les yachts, les jets privés, les femmes, les cigarettes mais aussi et surtout les voitures. Après avoir acheté sa dixième Ferrari, Enzo en personne le convoque à Maranello pour un déjeuner. Van Rossem ressortira peu impressionné de cet entrevue : “Enzo ne m’a parlé que de filles pendant deux heures, cela n’avait aucun intérêt”. Si Enzo lui en voulu pour cette sortie, l’inverse n’était pas vrai puisque Van Rossem continuera à acheter des Ferrari, allant jusqu'à en posséder 108 !

Et qu’est ce qu’on fait quand on possède des avions, des Rolls, des palaces, des ferrari ? On achète une écurie de Formule 1. Ce sera fait en 1989 quand il devient propriétaire de l’écurie Onyx, rebaptisée pour l’occasion Onyx Moneytron.


 Au moment où le belge achète, Onyx vient de débuter en F1 après un parcours victorieux en F3000. Earle, le patron a confié l’étude de la monoplace à Alan Jenkins, un ancien de Mclaren qui passera plus tard par Prost GP.

Le moteur est un traditionnel V8 Cosworth, les pilotes sont Stefan Johansson et Bertrand Gachot et le tout est financé par Marlboro. Les débuts sont compliqués, la voiture est bonne, peut-être trop pour une petite écurie qui souffre pour en assurer la mise au point et le développement. Le plus souvent l’écurie échoue aux portes des pré-qualifications. Il faut attendre le GP de France pour voir les deux monoplaces qualifiées, avec un Johansson qui décroche 2 points. Sans un problème de batterie, Gachot aurait assuré “un mini doublé” en finissant également dans les points. 

Une vraie réussite sportive 

A son arrivée, Van Rossem, avec la complicité de Earle et Jenkins décide de virer Gachot pour le remplacer par le Finlandais JJ Lehto, soutenu par Marlboro. Rapidement, l’ambiance se dégrade entre l’ancien et le nouveau patron et Earle quitte le navire en cours de saison. 
Van Rossem se permet alors toutes les extravagances qui feront sa réputation. Il arrive sur les GP avec sa collection de Ferrari de route. Il n’est pas rare de compter jusqu'à 5 Ferrari F40 garées devant le motorhome, au milieu de quelques autres bolides rouges. Les filles ont souvent fait partie du décor en sport auto mais le Belge tire la ficelle au maximum.

A chaque fois qu’on voit le nom Moneytron, systématiquement on doit voir 4 ou 5 nanas toutes plus belles les unes que les autres. Avec le recul, on se dit qu’il s’agissait surement de détourner l’attention pendant que les millions tombaient. Dans le réceptacle Onyx Moneytron, les clients de Van Rossem touchent du doigt le mythe de la F1. On pourra dire ce qu’on veut de Van Rossem, mais il avait tout compris du marketing, bien avant les autres.

L’écurie attire l’attention de tout le monde, les journalistes sont clients des frasques du belge, les pilotes vivent la vie de rock stars, les clients en prennent plein les yeux et le public reste bouche bée devant le parking de rutilantes Ferrari ou Rolls. A Monaco le yacht de l’écurie ne désemplit pas, le champagne, la coke, les mannequins, et tous les pique assiettes qui vont avec sont tous sous le charme,  la vie du belge est une fête, pourvu que ça dure. 

En coulisse cela s’agite de partout et rapidement Onyx Moneytron fait l’actu de la F1. Non seulement, il révolutionne à sa manière les paddocks en affichant ostensiblement ses millions, mais le pire c’est que les résultats en piste ne tardent pas à s’améliorer. Johansson ira jusqu’à signer un podium retentissant au GP du Portugal. Du jamais vu pour une écurie débutante (à comparer aux performances de Andrea Moda, la pire écurie de l'histoire de la F1). Van Rossem promet à qui veut l’entendre qu’il fera revenir Porsche l’an prochain en tant que motoriste de son écurie. 

 

Un style “controversé”

Dans l’univers policé de la Formule 1, les frasques du belge ne passent pas inaperçues. Même en plein dans les années fric, l’étalage de “money” ne plaît pas à tout le monde. La dégaine du personnage, avec son look inimitable et son côté anar affirmé ne font pas l’unanimité non plus. Plus grave, rapidement Van Rossem va se prendre la tête avec tout le monde. Le milliardaire finit par se lasser de la F1 après quelques mois seulement et ce , malgré une belle récolte de 6 points sur la deuxième partie du championnat. 

L’intersaison 1989/1990 aura son lot de rebondissements. Tout d’abord, Porsche préfère fournir ses moteurs à Footwork Racing, alors que Jean-Pierre Van Rossem pensait détenir un accord verbal. 
Le 23 Février 1990, il convoque la presse au Ritz, place Vendôme. Devant le prestigieux hôtel 4 Ferrari sont alignées, comme pour confirmer la présence du gourou de la finance. Devant le parterre de journalistes, il annonce qu’il quitte la Formule 1. La première raison est la promesse non tenue d’après lui, du constructeur Porsche. La seconde est que tous ses biens personnels sont bloqués suite au décès de sa femme, le 22 décembre dernier. 


Devant cette succession compliquée, Van Rossem a dû changer son fusil d’épaule. Pour permettre à ses F1 de courir la saison 1990 et assurer le futur de l’écurie, il est parti chercher des investisseurs et des sponsors aux Etats-unis. Hors d’après lui, aucun investisseur américain ne veut investir en Formule 1 à cause de la personnalité du président de la FISA, Jean-Marie Balestre. L’équation avancée par Van Rossem est la suivante : la plupart des financiers américains, banques et investisseurs, sont juifs, et ils tolèrent assez mal de confier leur argent pour sponsoriser une organisation dirigée par un ancien nazi ! 

Pour les journalistes, c’est une demie surprise. Tout le monde étant au courant, en off, du passé trouble de Jean-Marie Balestre. Un dossier élaboré par Me Klarsfeld ( chasseur de nazis très connu ) ayant déjà fait le tour des rédactions depuis bien longtemps. Mais dans le milieu du sport auto, et précisément de la Formule 1, personne ne s’aventure jamais à évoquer ce sujet oh combien épineux. Devant les caméras, Van Rossem fait le show, demande pourquoi Balestre touche une indemnité de l’état français d’invalide de guerre et comment il a pu obtenir un jour une carte de résistant. 
Van Rossem vient de se griller définitivement dans un milieu qui préfère implicitement l’absence de vagues.

La chute 

Contre toute attente, Van Rossem est toujours patron d’Onyx Moneytron quand la saison 1990 débute. L’écurie n’est pas morte et son propriétaire déclare que Bernie Ecclestone lui a téléphoné pour lui trouver un repreneur. En attendant l’écurie repart avec les moteurs Ford et les châssis de l’année précédente. Aucune monoplace ne se qualifie aux GP des USA et du Brésil. Les ennuis financiers du propriétaire ne sont pas réglés et il faut trouver une solution rapidement. L’écurie est finalement reprise par un consortium japonais, Middlebridge. 


On se dit que l’écurie est sauvée mais suite à cet achat quasi compulsif, Middlebridge rachète aussi Brabham Racing, à l’histoire plus prestigieuse. L'éphémère nouveau propriétaire des deux écuries, brade alors Onyx au plus offrant, en l'occurrence au seul candidat : Peter Monteverdi. 
Ce dernier vire tous les ingénieurs, prend la direction technique de l’écurie et l’écurie sombre définitivement en quelques grand prix seulement. On ne reverra jamais d’Onyx sur une grille de départ. 


Les arbres ne montent pas jusqu’au ciel 
 
Et notre Jean-Pierre dans tout ça ? Quelques mois après l’empire en carton maché s'effondre. La crise économique est passée par là et les investisseurs souhaitant récupérer leurs avoirs se sont fait plus nombreux. Comme pour la pyramide de Ponzi, ou plus tard pour Madoff, c’est la fin. 


Le très perfectionné système géré par un ordinateur surpuissant n’était que du vent. Van Rossem payait les premiers clients avec l’argent des derniers arrivés, jusqu’au jour où tout le monde a commencé à prendre peur et à voulu récupérer ses billes. 


En 1991, il est condamné pour escroquerie. Finalement peu d’investisseurs porteront plainte. Comme souvent dans ce genre d’affaires, l’origine douteuse des fonds, quand ce n’est pas la honte, passent l’envie aux victimes de déposer plainte.

La même année, il fonde R.OS.S.E.M, un parti politique, qui recueille d’entrée de jeu 3,2% des suffrages. Trois élus entrent au Parlement fédéral et un au Sénat. Van Rossem devient député et bénéficie dès lors de l’immunité parlementaire.

Il se fera encore remarquer en disant à la présidente de la 28ème chambre du tribunal correctionnel d’Anvers : “Vous avez été ma meilleure attachée de presse”. En 1993, il laisse un souvenir au Parlement lors de la prestation de serment du Roi Albert II en hurlant un “vive la république d’europe”, qui suscitera l’indignation générale. Il sera finalement condamné à 5 ans de prison ferme avant de disparaître dans la nature. 

Il refait surface régulièrement, à coup de retours politiques ratés ou repoussés, et de sorties dans la presse. Aux dernières nouvelles, début 2017, il demandait officiellement le droit à se faire euthanasier. Il déclarait alors : “j’ai vécu une vie mouvementée. Ce qui se passe maintenant ne m'intéresse plus”.  
Finalement il s’éteint le 13 décembre 2018 après avoir perdu sa dernière épouse quelques mois avant. 

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Nicolas Laperruque

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