13 septembre 2019

Dakar 1988 : la Peugeot 405 volée de Vatanen à Bamako.

Le dakar est synonyme pour les gens de ma génération, d’aventure, d’exploits mais aussi souvent d’histoires improbables. On va vous raconter l’histoire de Vatanen, qui un jour, alors qu’il était en tête de la course, s’est fait voler sa voiture. Volée ? Vraiment ? 

 

Une édition hors normes 

Cette édition avait commencé de façon grandiose sur le papier avec pas moins de 603 engagés, un record, dont 450 voitures et camions. Dans le journal L’Equipe Patrick Chapuis décrit la liesse populaire qui s’empare de Paris “C’est le Tour de France, plus un défilé du 14 juillet à travers tout le pays. C’est à la fois Mad Max; Lawrence d’Arabie et la grande évasion!”.
L’organisation, reprise par René Metge, est débordée par ce déferlement de prétendants au désert. Le nombre de concurrents implique que les derniers du classement ne peuvent prendre le départ avant midi et se retrouvent mathématiquement obligés de rouler de nuit. Pire, la première étape algérienne nommée “La piste oubliée” restera justement dans les anales pour sa difficulté. Au soir de la première étape africaine, presque 200 concurrents auront abandonné. Après 4 étapes, 400 concurrents ont perdu espoir sur les 600 inscrits. 
Une véritable hécatombe. 

La 405, machine de guerre 

En tête, Vatanen semble survoler l’épreuve au volant d’une nouvelle voiture basée sur la légendaire 205 turbo 16, la 405. La course s’articule autour de la prestation des Peugeot et de l’impressionnant camion de l’hollandais De Rooy qui occupe après ce début de rallye la 6ème place d’un classement auto-camions confondu. 
Le grand Ari, navigué par Bruno Berglund échappe à un incendie grâce aux réflexes de son coéquipier qui parvient à maîtriser les flammes in-extremis. La route vers Dakar s’annonce encore longue pour le finandais volant. 
Un drame évité, ce ne sera pas le cas pour tout le monde, le camion d’assistance de De Rooy part en tonneaux sur des petites dunes à 180km/h. Un des hommes présent à bord sera retrouvé à plus de 30 mètres toujours harnaché à son siège par son harnais. D’autres drames surviendront sur cette épreuve portant à 7 morts dont 4 locaux le nombre de victimes cette année. A Paris, les bien pensants crient au scandale, chacun ayant son avis sur une course qui se déroule dans un autre continent et à laquelle la plupart ne connaissent rien. Même le président Mitterrand sera obligé de défendre ce rallye en déclarant “ma femme est contre mais moi j’aime bien le Dakar”. Avec le recul on ignore de quelle femme il parlait.

Journée de repos 

Dans ce contexte, et vu la difficulté de cette édition, la journée de repos est bienvenue pour tout le monde. Nous sommes en pleine période people sur le Dakar, l’argent des sponsors, des constructeurs et de l’organisation coule à flots, et ce sont pas moins de 800 VIP qui sont conviés à arpenter le parc de véhicules au bivouac. Les Peugeot rutilantes sont bichonnées par les mécanos Peugeot Talbot Sport, sous le regard des badauds, pour un peu on ferait le parallèle avec Saint Tropez l’été autour des yachts. Le désert est devenu le lieu incontournable, les journalistes sont en effervescence et tout ce petit monde rejoint les hôtels alentours pour une nuit bien méritée.

Mais où  est donc passé la Peugeot 405 de Vata ?

Au petit matin du 18 janvier, René Metge, revenant au bivouac croise sur le pont surplombant le Niger et reliant le campement à Bamako, la 405 de Vatanen conduite dira t’il plus tard “par un blanc”. Rien d’anormal à ça, nous sommes 2 petites heures avant le départ et il ne peut s’agir que d’un membre de PTS procédant à d’ultimes vérifications avant que la course reprenne. 
Puis, soudain, la rumeur : “On a volé la 405 d’Ari Vatanen” . Jean Todt, logé comme toute l’équipe Peugeot et la plupart des journalistes à l'hôtel de l’amitié, aurait été réveillé à l’aube par un coup de fil. On lui aurait annoncé que la Peugeot avait été kidnappé et qu’elle serait restituée contre 500 000 francs ! 
Le rallye sort soudain de son lit, les journalistes abrègent leurs petits déjeuners continentaux, les hélicoptères décollent, Vatanen fait les cent pas dans le hall de l'hôtel, et oncle Todt est suspendu au téléphone satellite. 
Les questions pleuvent, les doutes également. Qui aurait pu voler un prototype de compétition en pleine nuit sur un bivouac très fréquenté ? Il convient de rappeler qu’il ne s’agit en rien d’une 405 normale et que le démarrage de cet engin nécessite quelques connaissances. Pour la démarrer, il aurait d’ailleurs déjà fallu s’en approcher sans éveiller les soupçons, s’éloigner avec, et traverser la ville dans une livrée on ne peut moins discrète. Sans compter le bruit démentiel produit par les échappements de la lionne.
Alors que toutes les forces vives du pays, Police, armée, organisateurs, journalistes survolent la zone à la recherche du proto, le départ est donné à l’heure prévue. 
Chaque concurrent à un horaire de départ à respecter avec une marge tolérée de 30 minutes. Si il prend le départ une minute après son horaire prévu, il sera pénalisé d’une minute et ainsi de suite. Si tous les yeux cherchent la lionne, les chronométreurs assistent à une scène troublante au départ du camion d’assistance Peugeot. Les 3 coéquipiers chargés de porter assistance à Vatanen refusent de prendre le départ arguant qu’ils attendent Ari, qui lui même attend sa voiture. Les officiels précisent aux Peugeot boys que l’heure tourne et qu’il seront mis hors course passé les fameuses 30 minutes. La logique voudrait qu’ils tamponnent leur carton, prennent le départ et aillent se garer 10 mètres plus loin en attendant le finlandais. Mais ils n’en font rien et se mettent alors délibérément hors course! Bizarre…

On a retrouvé la Peugeot 405 

C’est alors qu’on annonce que la 405 est retrouvée dans un champ, à 2 kms du départ ! Intacte, tous pleins faits, prête à rugir dans les dunes, tout ça sous les yeux des caméras du monde entier. Les belles histoires finissent toujours bien? Non, pas exactement. 
Si Vatanen est bien autorisé sur le moment à prendre le départ, il sera mis hors course par la suite, pour avoir loupé l’heure de départ. Peugeot, d’ailleurs ne fera pas appel de cette décision, ce qui n’est pas le genre de la maison Todt à l’époque. Finalement le constructeur français gagne à Dakar avec un Kankhunen sans panache gérant tranquillement son avance. 

Vrai vol ou combine? 

Tout sera dit sur cet épisode. Yves Génies, alors journaliste à auto moto évoquera une première hypothèse selon laquelle Vatanen aurait renversé un motard et aurait voulu dissimuler les traces. Impossible,vu le nombre de personnes présentes au bivouac, et je rappelle que les Peugeot ont passé la première nuit et toute la journée de repos sous les yeux de tout le rallye. Quand on connaît l’humanité et la droiture de Vatanen pendant toute sa carrière il apparaît invraisemblable qu’il se soit livré à ce genre de scène.  
On a dit que la FIA via Jean Marie Balestre aurait commandité “le crime” pour se venger dans le bras de fer qui l’oppose alors à TSO et à Peugeot. Énorme, et sans preuves. Vu les retombées médiatiques de l’affaire, ça a plutôt servi la légende du Dakar que l’inverse.
La version Peugeot, enfin, qui consiste à dire que la 405 aurait été volée par la mafia de Bamako mais que le voleur ne connaissant pas le véhicule serait tombé en panne d’essence au bout de deux kilomètres, ignorant qu’il fallait actionner deux pompes d’injection pour abreuver le moteur. Il aurait alors choisi d’abandonner le véhicule et de se diriger vers une habitation pour passer le coup de fil de revendication. Un Bamakois, passant par là en mobylette aurait découvert le véhicule et aurait prévenu les autorités. Ça vaut ce que ça vaut comme on dit par chez moi, mais quand on connaît le sens du détail d’une organisation comme Peugeot sport sous Todt, on ne peut s'empêcher d’afficher un début de sourire.

La théorie Fenouil 

Fenouil, concurrent à de multiples reprises puis lui même organisateur du Dakar quelques années plus tard élaborera une théorie dans son excellent livre “Dakar l’envers du décor” que je vais vous livrer. Cette théorie lui sera racontée par plusieurs acteurs du Dakar dont le regretté Ulrich Brehmer alors patron du team Mitsubishi. Alors que l’heure du départ approchait, on se serait rendu compte chez Peugeot que le bloc moteur ou le vilebrequin était fissuré. Ces pièces étant plombées, il est interdit de les changer. La décision aurait été prise dans la panique d’isoler la 405 pour pouvoir intervenir tranquillement. Si les pièces sont interdites, les camions d’assistance ne peuvent donc pas les transporter. Ce qui expliquerait l’attitude des mécaniciens du camion de Vatanen, se mettant délibérément hors course. Si le camion est hors course il ne peut plus être contrôlé. 
Un avion transportant un moteur neuf se serait posé vers 3 heures du matin à Bamako, mais comble de malchance celui-ci ne correspondait pas à la boîte, rendant l’opération compliquée. La décision aurait été prise d’emmener la 405 dans un garage éloigné des regards pour la modifier. La réparation ne pouvant être finie dans les temps, cette histoire de vol aurait surgit d’un cerveau Peugeot, en désespoir de cause.
Fenouil revient d’ailleurs sur un événement s’étant produit 15 jours avant le départ du Dakar, au siège de TSO l’organisateur. Un vol avait eu lieu dans la cave de l’organisation, avec des plombs et des pinces officielles. On peut donc penser qu’une ou plusieurs équipes possédaient de quoi refaire des plombages en toute discrétion et sans éveiller les soupçons. 

La version Ari Vatanen

Vol ou faux vol, le mystère reste entier, et fait partie des énigmes du Dakar. J’ai croisé Ari Vatanen plusieurs fois, je brûlais d’envie de lui demander, sans oser le faire.
Pendant le dernier Tour Auto, je me suis lancé. Au cours d’une discussion amicale avec l’idole de ma jeunesse, j’ai posé la question qui tue : “Ari, la 405 à Bamako, c’était une combine ?”
Il m’avait répondu le plus calmement possible mais avec une petite pointe d’énervement, comme on le fait pour une question qui a trop souvent été posée. “Evidemment qu’elle a été volée. Jamais j’aurai permis ça. D’ailleurs, j’ai perdu la victoire dans cette affaire”. 
Et si tout simplement, personne n’avait tenu Ari au courant? 
Seul Jean Todt pourrait répondre mais jamais personne ne s’exprimera plus sur cet épisode chez Peugeot, laissant la place à tous les fantasmes...

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Nicolas Laperruque 

 

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