04 juin 2020

F1  : GP de F1 de Monza 1988 Quand les dieux s’en mêlent 

A l’aube de ce GP d’Italie 1988, la situation est claire. Alain Prost et Ayrton Senna ont remporté les 11 premières manches du championnat et sur ce circuit faisant la part belle aux moteurs, il n’y a aucune raison que cela change. En début de saison, Ron Dennis, patron de Mclaren avait prévenu : “nous allons gagner tous les Grand Prix cette année”. C’était sans compter sur une course folle et sur un ultime hommage du temple de la vitesse Italien à celui qui fit tant vibrer le pays, Enzo Ferrari. 

Retrouvez la version audio ( Podcast de cet article à la fin de cette page )

L’ombre d’un géant 

Ce grand prix aura une saveur particulière pour l’équipe Ferrari, les tifosis, et plus largement pour toute la Formule 1. Enzo Ferrari s’est éteint 3 semaines avant à son domicile, le 14 août. Il meurt comme il a vécu, dans la discrétion mais en contrôlant tout jusqu’au bout. Ainsi, conformément à ses dernières volontés, son décès n’est annoncé que deux jours plus tard, après son enterrement. Avant cela, il a pris soin de préparer sa succession en réorganisant une dernière fois une écurie qui en avait bien besoin. 

D’ailleurs, la dernière victoire à Monza de la Scuderia remonte à 1979 avec un doublé Scheckter-Villeneuve. Dans le paddock, il se dit que ce ne sera pas pour ce week-end, en l’absence définitive du patron et devant la domination totale de Mclaren. 
Tout autour du circuit historique, l’hommage des spectateurs est unanime et impressionne. C’est une véritable marée humaine, vêtue de rouge, ce rouge qui a marqué à jamais l’histoire de l’automobile. 

photo Rainer Schlegelmilch

Paddock de Monza, 10 septembre 1988

Dans les heures précédant les qualifications, c’est l’agitation dans le paddock de la manche Italienne. Le principal sujet de conversation tient dans la réorganisation de l’écurie Ferrari voulue par Enzo et pilotée par Fiat. On y apprend que l’administrateur délégué par Gianni Agnelli s’est rendu une douzaine de fois à Maranello depuis la disparition du patron. A la tête de la direction sportive c’est Piccinini qui se voit remercier après 10 années de bons et loyaux services. Pendant ce temps là il se dit qu’une nouvelle monoplace dessinée par John Barnard a été testée par un Berger très en forme. 
Il y en a un autre qui est très en forme ce matin, c’est Ron Dennis. Ce dernier traverse le paddock d’un pas décidé pour aller frapper fermement à la porte du motor home Ligier à 9 heures pétantes. 

Guy Ligier, patron charismatique de l’écurie éponyme avait fait une offre au réputé ingénieur Frank Dernie. Malgré la parole donnée, l’Anglais fait défection et provoque la colère d’un Ligier qui n’avait pas besoin de ça pour faire entendre sa voix. C’est le branle bas de combat chez les Frenchy et finalement Ligier débauche Andy Williams, informaticien en chef de McLaren. Guy Ligier aurait pu se contenter de cette belle prise de guerre mais ce serait mal connaître cet ancien rugbyman. Il fait donc une offre à Steve Nichols, concepteur de la MP4/4. 
Dans l’entrée du motorhome Ligier, le ton monte. Dennis s’emporte, essayant de convaincre Guy Ligier qu’on ne peut pas agir ainsi en F1, en débauchant toute l’écurie McLaren.  Mais c’est un Guy Ligier visiblement pas du matin qui propose carrément à Dennis d’en venir aux mains si c’est un homme, en hurlant un “oeil pour oeil, dent pour dent, les anglais vous êtes tous à mettre dans le même sac !” Ambiance… 
Au terme de cette journée mouvementée, les qualifications désignent une première ligne entièrement McLaren avec une pole position de Senna à la moyenne de 242, 864 km/h devant Prost et les deux Ferrari qui sauvent la seconde ligne. 

Changements de voiture pour Berger 

Il fait un temps splendide en ce dimanche 11 septembre sur l’autodrome. Au terme du warm up la hiérarchie des qualifications est respectée mais Alain Prost est pessimiste avec un châssis en proie aux vibrations et un moteur qui ratatouille.  
Dans les minutes précédant le départ, il y en a un autre qui n’est pas rassuré c’est Gerhard Berger. Dans le tour de mise en grille l’Autrichien se rend compte que son accélérateur se bloque. Mauvaise idée sur un circuit où les vitesses atteignent les 350 km/h. Il décide alors de repasser par le stand, pour y prendre le mulet. Après avoir sauté en urgence dans la voiture de réserve, Berger ne le sent pas. L’équilibre lui semble moins bon et après quelques virages il appelle son équipe à la radio. Entre temps les mécaniciens ont réussi à réparer l’accélérateur. Il décide donc de retourner au stand Ferrari pour reprendre la voiture de course prévue initialement. Nouvel échange, les minutes tournent et bientôt il sera vraiment l’heure de rejoindre la grille. Mais Berger repart, pour de bon croit on, pour aller s’installer dans la ligne droite du circuit. Au bout de quelques centaines de mètres, l’accélérateur ne fonctionne pas mieux ! Nouveau passage par les stands, et troisième changement de voiture en quelques minutes ! Berger reprend le mulet, les mécanos font ce qu’ils peuvent sur la grille pour régler la voiture, c’est pas gagné pour l’Autrichien. 

Domination McLaren en course 

Au départ, Alain Prost prend le meilleur envol et s’empare de la tête. Mais le Français n’en profitera pas très longtemps. Ayrton Senna, blottit dans son aileron, déboîte et lui fait l’intérieur à la première chicane. Au terme du premier tour, le Brésilien mène la course, devant Prost, Berger, Alboreto, Cheever, Boutsen, Patrese, Piquet et Capelli. 
Le rythme imprimé en tête est époustouflant et après deux tours, Senna compte déjà deux secondes d’avance sur Prost et 5 sur les Ferrari. 

Dans le cockpit de la Ferrari, Berger se sent pousser des ailes. Il attaque fort et revient tour après tour sur un Prost en proie avec sa Mclaren. Virage après virage, il attaque de plus en plus fort et revient dans le sillage du Français. 
Mais Prost n’a pas l’intention d’abdiquer. Il répond aux attaques de l’Autrichien en enchaînant une série de meilleurs tours en course. Mais dans les entrailles de leurs monoplaces respectives, un autre combat se joue. Tout d’abord, le Français se rend compte qu’il a beaucoup consommé ces derniers tours en attaquant et qu’il doit mesurer ses efforts s'il veut voir la ligne d’arrivée. De son côté Berger les manomètres de sa Ferrari, car les températures d’eau et d’huile sont très élevées. A ce moment, Berger n’a plus le choix et doit ralentir le rythme, sa mécanique n’arrive plus à suivre. 
Berger commence à se faire une raison, mais son équipier chez Ferrari, Alboreto, qui joue à domicile, n’entend pas lui faire de cadeau. C’est un Italien déterminé qui déboule dans les rétros de sa monoplace. Berger doit à nouveau repasser en mode attaque pour se laisser une petite marge de sécurité sur Michele Alboreto. 

Le moteur Honda fait un bruit de tondeuse 

En tête tout va bien pour les deux McLaren boys. Entre Senna et Prost, la bagarre est magnifique mais les ennuis commencent à poindre pour le Français. Alors qu’il passe pour la 30ème fois devant les stands, le moteur Honda du Professeur arrose les tribunes d’un son curieux. Le bloc Japonais ne tourne plus rond. Dans les tours qui suivent, la monoplace de Prost rend 9 secondes au Brésilien. 
A l’issu du tour, Senna devance Prost à 10 secondes, Berger à 23 secondes et Alboreto relégué à 34 secondes avec un rapport qui saute sur sa boite Italienne. Au tour suivant, Prost est à 12 secondes et son moteur qui n’en finit pas de mourir émet un son épouvantable, provoquant un immense fou rire dans les tribunes toutes acquises à la cause Ferrari. Ils devront attendre le 35ème tour pour voir Prost laisser passer Berger et rentrer au stand. Un piston en céramique a cédé sur le bloc Japonais, Prost retire son casque, c’est fini pour lui. C’est la première avarie mécanique sérieuse sur une McLaren cette saison et le premier abandon en course. 

Eco conduite 

Au 43ème tour d’une course qui en compte 51, Senna est en tête avec 25 secondes d’avance sur Berger. La situation est la suivante. Suite aux abandons de Nakajima et Prost sur casse moteur, on a demandé au Brésilien par radio de modifier la richesse de son carburant et de baisser la pression de suralimentation. En gros, on ajoute du carburant dans le mélange air/essence et on réduit la puissance délivrée par le turbo. Avec une consommation déjà plus élevée que prévu, Senna n’a pas le choix, il doit lever le pied. Il reste 8 tours, mais on imagine tout de même le Brésilien sur la plus haute marche du podium. 

La Ferrari est pleine de fièvre 

Derrière, Berger et Alboreto ont économisé suffisamment de carburant pour attaquer l’esprit libéré jusqu’au drapeau à damiers. 
Au 50ème tour, à deux boucles de l’arrivée, Berger compte seulement 5 secondes de retard sur Senna. C’est peu mais c’est trop pour être comblé en si peu de temps. Berger le sait, mais il attaque comme si sa vie en dépendait. Il a compris ce que pouvait représenter une victoire ici, en ce jour si particulier. Alboreto n’est pas loin derrière et lui met également la pression. A bord, tous les manomètres sont dans le rouge, la Ferrari est pleine de fièvre, mais qu’importe, il doit aller au bout. 

L’intérimaire Schlesser se fait remarquer, bien malgré lui 

Vous l’aviez peut-être oublié, mais Jean-Louis Schlesser plus connu pour ses victoires en endurance et au Dakar, a fait de la Formule 1. Ou plutôt, à fait un GP en remplacement d’un Nigel Mansell, souffrant de la varicelle ! 
Le choix de Schlesser ne tombait pas sous le sens pour Franck Williams mais après avoir appelé tous les prétendants au volant sur la liste, il faut se rendre à l’évidence, seul le Français est disponible et peut disposer d’une super licence indispensable pour prendre le départ. Peu importe si le Jean-Louis n’est plus un jeune premier, il remplacera Mansell à Monza. Franck Williams aura d’ailleurs des sueurs froides au moment où Schlesser se glissera dans le baquet le vendredi. Il faudra le rentrer au chausse pied, mais ça rentre ! 

Senna out ! 

Dans cet avant dernier tour, Senna aborde le freinage de la première chicane derrière Schlesser à qui il prend un énième tour. Senna arrive, comme à son habitude à bloc sur la voiture attardée et fond littéralement sur sa proie. Schlesser, surpris par la manoeuvre du Brésilien en loupe presque son freinage et va se ranger le plus possible à l’extérieur du virage pour le laisser passer. Dans la précipitation, les roues arrières de la Williams se bloquent, Schlesser escalade le vibreur et met deux roues dans l’herbe. On peut pas se ranger plus, Senna pense qu’il a un boulevard pour passer. Le Brésilien a la pression depuis une dizaine de tours avec les écarts qui fondent comme neige au soleil et se précipite un peu vite dans le virage suivant. Il ne prête pas attention au pauvre Schlesser qui se fait le plus petit possible dans la chicane mais qui revient en piste et coupe la trajectoire de la McLaren. La roue avant droite de la McLaren escalade la roue avant gauche de la Williams Honda. Senna s’envole, part en tête-à-queue et se retrouve dans le mauvais sens. On se dit qu’il va repartir, mais le moteur a calé, c’est l’abandon pour Senna ! Il restait encore deux tours à parcourir. 

Forza Ferrari

Berger est en tête devant Alboreto. Depuis le début de la course, à chaque passage des Ferrari dans la ligne droite, l’armée de supporters Italien est debout. Invariablement, à chaque tour, les Tifosis ne quittent pas des yeux les deux monoplaces jusqu'à leur disparition dans la chicane. A cet instant, les têtes se braquent alors sur le gigantesque panneau lumineux annonçant les écarts et les positions. 
Dans le public, l’ambiance, indescriptible depuis 51 tours, prend encore une autre dimension. Toute l’Italie se lève comme un seul homme, dans le cockpit Berger tente de rester concentré. Il est seul dans sa voiture, il reste un tour à boucler mais ce ne sera pas le plus simple de sa carrière. Berger franchit la ligne d’arrivée en héros, une seconde devant Alboreto qui ne l’attaque pas et assure le doublé. 

Monza a feu et à sang 

La piste est envahie par des dizaines de milliers de Tifosis. Des oriflammes rouge Ferrari surgissent de partout, la marée rouge recouvre toute la ligne droite, les drapeaux Ferrari doivent être visibles de la lune tellement ils sont nombreux. Ce doublé survient 3 semaines après le décès d’Enzo Ferrari, véritable légende de l’automobile et de l’Italie. Accéder au podium dans ces conditions n’est pas facile. Berger est effrayé par ce qu’il voit et par la pression de la foule. Il faudra une armée de gardes du corps pour qu’il puisse se frayer un chemin jusqu’aux marches du podium. Une fois là haut, il avouera ne pas réaliser exactement ce qui venait de se passer. Berger est KO debout mais divinement heureux. Il vient de vivre le plus beau moment de sa carrière. 
Des années plus tard, dans le journal L’Equipe Berger déclare : “Après le podium, et comme après chaque course, je ne me suis pas attardé sur le circuit. C’était totalement idiot de ma part, j’aurais dû rester, cette fois là, pour profiter du moment, goûter et partager cet incroyable doublé avec tous les Tifosi, un mois seulement après la mort d’Enzo Ferrari. Je regrette encore, des années plus tard, d’avoir manqué cela, je n’aurais pas dû partir”. 
Dans toute l’Italie, le succès est fêté dignement, le pays tout entier rend un ultime hommage à Enzo. Pendant ce temps là, devant le motorhome McLaren, les mécaniciens finissent de ranger le matériel. Alain Prost a regardé la fin de la course avec Ron Dennis. Le patron Anglais termine cette journée en blaguant avec Senna et Schlesser venu s’excuser. Il a le sourire, il sait qu’il vient de perdre son pari de gagner toutes les courses de la saison pour la bonne cause. 

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Nicolas Laperruque 

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