30 mai 2020

Honda NR. le V4 qui est rentré dans l'histoire

"On ne voulait pas suivre les autres.On voulait bousculer les conventions avec un tout nouveau concept. On voulait créer une machine qui incarnerait l’ultime avance technologique. Un moteur pour secouer le monde."

 

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Retrouvez la version audio ( Podcast de cet article à la fin de cette page )

Les mots du président Fukui et de ses ingénieurs sont sans équivoque. C’est que chez Honda, à la fin des années 70, il est question de (re)faire la nique à Yamaha en compétition. Mais pas question d’affronter le Némésis à armes égales, pas question de développer une pétoire qui tourne au mélange. Les efforts vont se concentrer sur une idée folle : créer une toute nouvelle moto, à moteur 4 temps, répondant au cahier des charges du WGP (World Grand Prix) et capable de battre la machine de guerre Yamaha. Après plus de dix ans d’absence, Honda annonce son retour en GP, qui plus est avec un moteur à 4 quatre temps. Certains rient, d’autres sont dubitatifs, beaucoup croient la tâche impossible à réaliser, un peu comme si la NASA entendait envoyer des astronautes sur Mars à bord d’une navette diesel. À l’époque toute personne saine d’esprit sait bien qu’aucun quatre-temps n’est capable de rivaliser avec son équivalent deux-temps ; pour espérer délivrer autant de puissance il devrait théoriquement avoir une vitesse de rotation deux fois plus élevée - quand un deux-temps est déjà réputé pour ses capacités à monter dans les tours. Ça pose de sérieux problèmes de développement ET de fiabilité. En gros, c’est juste impossible… Tout ça semble bien mal parti mais en fait c’est assez cohérent avec la philosophie maison. Soichiro Honda, fondateur de la marque, détestait le deux-temps, c’est de notoriété publique et durant toute sa carrière il n’a eu de cesse d’améliorer ses mécaniques à quatre-temps, faisant connaitre une première apogée à ce type de motorisation et à la moto en général à la fin des années soixante. Hélas, depuis le départ de Soichiro-san en 1973, Honda s’est laissé damer le pion  par le rival de toujours, l’autre géant : Yamaha. Les quatre-temps high-tech et raffinés de la marque ailée n’ont pas fait école. L’heure est à la simplicité et la brutalité d’un deux-temps qui s’est peu à peu imposé comme nouveau standard de sportivité. En 1977 Honda a soif de revanche. il est temps que les choses changent. Cette petite gué-guerre entre Honda et Yamaha peut aujourd’hui sembler anecdotique mais il faut remonter un peu le temps pour comprendre qu’il s’agit en fait d’une bataille de titans, et à quel point cet affrontement a façonné le monde de la moto tel qu’on le connait aujourd’hui.

Agostini sur Yamaha et Freddie Spencer, Laguna Seca 1981

Jadis, Soichiro Honda et Genichi Kawakami travaillaient ensemble chez Yamaha, qui fabriquait des hélices d’avion durant la seconde guerre mondiale. Kawakami-San dirigeait la marque au diapason, Honda-San y était ingénieur avant de devenir conseiller principal du big boss. Mais depuis 1948 Monsieur Honda vole de ses propres ailes. Il a fondé sa marque et a conçu un vélomoteur, puis une moto (Honda Dream Type-D) qui se vendent comme des sushis. En 1951, la première Honda équipé d’un moteur à quatre-temps voit le jour, la Dream Type-E. On dit chez Honda que cette Type-E fut la première machine dont le développement excita vraiment le patron. Par ailleurs, dans les années 50, les compétitions moto sont déjà très populaires au Japon et les constructeurs savent très bien qu’une victoire en course est gage de succès sur le marché… Et justement, les machines de Monsieur Honda trustent les premières places. Depuis le QG de Yamaha (qui ne fabrique pas encore de moto), Genichi Kawakami observe tout ça d’un œil intéressé et décide à son tour de se lancer dans l’aventure deux roues. À l’instar de Honda, pour faire connaitre et surtout vendre ses motos, il entend gagner des courses. 1955 marque le début d’une rivalité légendaire entre Soichiro Honda et Genichi Kawakami, entre Honda et Yamaha.

Genichi-Kawakami et Soicihiro Honda

Par un superbe matin de juillet 1955, tandis que les honorables rayons du soleil levant viennent humblement réchauffer les vieux flancs du mont Fuji, Soichiro Honda et Genichi Kawakami s’apprêtent à en découdre sur les pistes poussiéreuses de la vénérable montagne. Sans le savoir, ils engagent leurs marques respectives non pas dans une simple course de côte, mais dans un affrontement sportif, technologique et philosophique qui va durer près d’un demi-siècle. Si Honda gagne cette première course et de nombreuses autres par la suite, Yamaha s’impose très rapidement (en fait dès le mois de novembre de cette même année) comme un opposant coriace. Dans les années suivantes, Honda va devoir sortir des sentiers battus et donner le meilleur de son savoir faire pour rivaliser avec son concurrent, donnant naissance au passage à des motos de légende comme les fameuses Honda RC149 (125 cc) et RC166 (250 cc), deux petits cubes repoussants les possibilités du quatre-temps dans ses derniers retranchements. Pour ne parler que de la 250, imaginez une bécane avec un minuscule six cylindres, oui oui six-cylindres, développant près de 65 cv pour 112 kg ! Chaque soupape fait le diamètre d’une gomme de crayon à papier. Pire, il y a un carbu par cylindre ! En 1966 et 67, emmenée par un Mike Hailwood faisant hurler la mécanique à 18.000 tours et déchirant la piste à plus de 250 km/h, la petite Honda offre haut la main le titre de champion du monde des constructeurs à Soichiro-San, et couronne au passage Mike the Bike champion du monde des pilotes. Rebelotte en 66, en se payant le luxe de gagner toutes les courses du championnat. En 1968, en pleine gloire et ayant fait preuve d’un fabuleux savoir-faire dans le domaine de la mécanique quatre-temps, Honda se retire de la compétition. Mais le nippon rouge a accumulé trop d’avance dans le domaine de la mécanique quatre-temps et quasiment personne n’ose s’engager dans un long et coûteux processus de recherche et développement. Seule MV Agusta fait de la résistance, plaçant ses quatre-cylindres quatre-temps au sommet du podium pendant une paire d’années. Mais il n’y avait rien à faire, l’italien - aussi prestigieux soit-il - n’a pas les moyens de Honda et se voit submergé par les pétarades et les odeurs de mélange d’une concurrence assoiffée de victoire. Une fois Honda absent du tableau, la bourre se tire en deux-temps. N’empêche, Honda a su exploiter son expérience en course pour poser les bases d’une nouvelle génération de machines de route inaugurée en 1969 par la CB 750 Four. Avec elle le monde de la moto de route entre dans une nouvelle ère de performances et de fiabilité, donnant au passage une image de marque sérieuse et innovante à Honda, mais offrant les circuits du WGP sur un plateau à Yamaha qui va d’emblée faire la loi dans les catégories 250 et 350 cc, finira par battre MV Agusta en 500 (en volant au passage le légendaire pilote maison : Giacomo Agostini), avant de se retrouver face à un Barry Sheen survolté et sa Suzuki… Deux temps. Barry Sheen, sera ensuite recruté par Yamaha. Bref, trop c’est trop, Honda doit revenir mettre de l’ordre dans tout ça.

Le géant rouge à la tête dure et en 1977, excédé par les succès du triple-diapason, il décide de revenir en course en tablant encore et toujours sur le quatre-temps. Comme d’habitude chez Honda, on ne fait pas les choses à moitié. Une nouvelle branche baptisée New Racing, plus connue sous ses initiales NR, est aussitôt intégrée au Motorcycle Racing Department, dirigé par Koichi Yanase. Un ex-ingénieur de R&D, Takeo Fukui vient épauler le sensei (maître) Shoichiro Irimajiri au développement moteur. Shoichiro Irimajiri n’est pas un inconnu, ni un débutant… La RC166, c’est lui. Et Soichiro Irimajiri sait une chose : pour qu’un moteur quatre-temps puisse espérer rivaliser avec un deux-temps, il faut multiplier les cylindres. Hélas depuis quelques années, en WGP, le nombre de cylindres est limité à quatre… Et les concurrents les plus sérieux, Yamaha et Suzuki en tête, sont déjà équipés de bombes à quatre cylindres deux-temps qui développent un bon 120 cv. Si l’équipe de Takeo Fukui veut se donner les moyens de gagner, il va falloir non seulement poser les fesses d’un pilote talentueux sur la future machine mais aussi faire en sorte que cette dernière développe plus de puissance que ses concurrentes. Sacré casse tête ! Honda ne lésine pas, on recrute de la matière grise et des petites mains à la pelle, en plus de Shoichiro Irimajiri et Takeo Fukui, 70 personnes planchent sur le problème. Autant dire que ça brainstorme sévère chez Honda en 77.

Si dix ans plus tôt, la Honda RC166 pouvait compter sur ses six cylindres pour batailler contre la Yamaha RD05/A et son bouillant V4, les temps et le règlement ont changé… Mais Irimajiri-San n’a pas dit son dernier mot. L’équipe New Racing basée au centre de recherche d’Asaka va jouer un joker particulièrement inattendu : la Honda NR 500 de GP sera motorisée par un V8 ! Ah mais oui mais non, on vient juste de voir que le règlement du WGP impose 4 cylindres maximum. Hé hé hé… C’est là que Honda joue un des tours de magie les plus osés de l’histoire de la bécane qui roule vite, le « V8 » de la NR 500 n’aura bel et bien que quatre cylindres. Hein ? Quoi ? Comment ? Oui oui je sais, c’est assez perturbant… Et c’est une idée géniale ! Les cylindres seront joints deux par deux, les chemises et les pistons seront ovales, il y aura huit soupapes par cylindre. Vous avez bien lu, huit soupapes - et deux bougies - par cylindre. Soit un quatre cylindres à chemises / pistons ovales, cubant un demi litre et disposant de 8 bielles (deux par piston), 32 soupapes et 8 bougies. Et tenez vous bien, selon les premiers calculs, l’usine à gaz annonce la couleur avec 130 cv à 23 000 tours / minutes !

Bon, il n’est pas tant question de faire un faux V8 que de créer un moteur capable de tourner encore plus vite qu’un deux-temps. L’idée étant de maximiser l’admission de carburant, l’explosion et l’échappement, d’où les fameux pistons ovales permettant la multiplication des soupapes, le tout dans une architecture en V pour plus de compacité. Je vais être franc, le développement du moulin ne se fait pas vraiment fait dans la facilité. Passer du papier au métal met les nerfs des ingénieurs à rude épreuve. Tout d’abord ils se fadent six mois d’expérimentations diverses et autres tests préliminaires peu concluants sur un mono-cylindre. Grosses prises de tête, le moulin a notamment une fâcheuse tendance à vriller de la bielle et mettre du piston en travers au delà de 10.000 tr/minute… Ce qui est déjà une sacrée vitesse de rotation pour un mono, d’autant plus que les montées en régimes sont pour le moins rageuses. Et c’est là dessus qu’on se concentre : le potentiel prometteur. La team de développement ne s’avoue donc pas vaincue et travaille d’arrache pied en étroite collaboration avec le staff Honda Engineering. Les problèmes sont peu à peu surmontés pour finalement accoucher d’une première version du V4. Nom de code : moteur 0X. Pendant ce temps là, une autre équipe planche sur le reste de la moto, qui à l’image de son moteur sera une pièce de haute technologie. Légèreté et encombrement minimum sont au cahier des charges. Bras oscillant arrière mono-amortisseur, cadre poutre semi-monocoque en aluminium et fourche inversée sont au programme. La moto prend forme et son moteur entre en phase de test sur banc en 1979, résultat : environ 115 cv. Ce qui est bien, mais pas top, d’autant que le projet prend inexorablement du retard et pendant que les équipes de Koichi Yanase tapotent nerveusement sur leurs calculatrices Casio, la saison des courses arrive et on commence à se tirer la bourre sans attendre Honda… Ce qui a le dont d’énerver quelque peu la maison mère.

Tout le monde sait qu’il est encore trop tôt mais on décide quand même d’engager la NR 500 en course. Les ingénieurs et autres mécanos redoublent d’efforts pour aligner deux motos au GP d’Angleterre, qui se tient en août à Silverstone. Imaginez les deux machines sur la ligne de départ au beau milieu des pétoires habituelles. C’est de la pure science fiction qui se déroule ce jour là sous les yeux des spectateurs. Posées sur leurs petites roues de 16 pouces (contre 18  pour les autres marques). Les deux Honda NR ne ressemblent en rien aux autres motos. Leur carénage, avec son petit saute-vent frontal, s’inspire de la F1 ; et sous la robe, il y a le fameux moteur 0X, ses trois radiateurs (un frontal et deux latéraux) qui s’encastrent dans son châssis moderne - surnommé « coque de crevette » - fait de feuille d’aluminium et non  de vulgaires tubes d’acier. Mais chez Honda on sait bien que les motos ne sont pas prêtes. Elles sont intensivement testées sur le circuit de Suzuka depuis plusieurs semaines et par mesure de sécurité on a décidé de les brider à 100 cv / 16.000 tours. Malgré leur immaturité, le staff Honda, les pilotes Mick Grant et Takazumi Katayama, la presse spécialisée, bref tout le monde est très excité et surtout impatient de voir les NR 500 en course.

Qualifiées de justesse, les motos sont au départ. C’est pas très très glorieux mais n’oublions pas qu’il s’agit de leurs tous premiers tours de roues en course et qu’on est au plus haut niveau de compétition. Quoi qu’il en soit, pilotes, ingénieurs et mécanos restent réalistes, ils ne s’attendent pas à faire un podium. Par contre, ils espèrent faire une bonne première impression, pour ne pas dire une petite démonstration de force. Et le départ est donné ! Mick Grant part comme une balle… Et se bourre au premier virage, première NR 500 pliée. Takazumi Katayama bataille un peu mais après seulement quelques tours, il abandonne sur problème mécanique. Pire, au Grand Prix de France, dernière course de la saison, aucune des deux moto ne se qualifie. Yoshimura, un membre de l’équipe de développement se souvient : « Misérable, je me suis senti juste misérable. J’en était en sanglots. » Ces premiers tours de piste en course sonnent comme une humiliation pour toute l’équipe.

Mais telle un samouraï, l’équipe New Racing ne baisse pas les bras et met les bouchées doubles. À force de travail les NR 500 progressent encore un peu en performance et en fiabilité. On retrouve le moral même si quelques problèmes subsistent : un frein moteur démentiel à la décélération et un coup de pied au cul monumental à la montée en régime, surnommé affectueusement le « BANG ». On planche, on conçoit, on teste, on règle, on re-teste, on re-règle… Bref, on bosse dur pour faire la preuve de la suprématie technologique de la marque ailée. Mais tout ça prend du temps, beaucoup trop de temps. Pendant qu’on s’arrache les cheveux chez Honda, les autres marques continuent de se bagarrer sur la piste, et dans les paddocks on se moque des NR, qu’on appelle les Never Ready (jamais prêtes). Malgré les railleries, une NR 500 parvient tout de même à s’illustrer en gagnant les 200 km de Suzuka 1981. Bien qu’encourageante cette victoire en endurance ne débouche sur aucun coup d’éclat en GP et chez Honda on songe sérieusement à ranger miss NR dans un musée. C’est Freddie Spencer qui lui sauve la mise, à l’AMA National de Laguna Seca, une course du championnat routier américain.

Quand Freddie s’assoit pour la première fois sur sa NR 500, il est pour le moins dérouté. C’est que cette bécane est un paquet de technologie carrément excitant et déconcertant à la fois. Avec un ralenti à 6.000 tours et plage d’utilisation optimale entre 18.000 et 21.000 tours ! Il trouve le moteur cruellement creux à bas régime et la moto, trop légère de l’avant, requière beaucoup de fermeté au pilotage. Et pourtant, ce jour là, Freddie Spencer déglingue le Roi Kenny Roberts et sa Yam’, et gagne la course. Dans les stands, chez Honda, c’est comme si on venait de gagner le championnat du monde. Les ingénieurs sautent partout et des membres du staff se ruent sur le téléphone pour appeler le Japon. Freddie Spencer devient un demi-dieu, on voit en lui le pilote providentiel, celui qui peut faire gagner la NR. Qu’importe qu’elle n’aie pas réussi à finir la seconde course du jour, cette seule victoire suffit à remettre tout le monde en route. Moto, pilote et staff sont expédiés en Angleterre aussi sec. Au GP de Silverstone 81, Fast Freddie qualifie la NR 500 de façon propre et net. Mais un GP c’est autre chose que les cinq tours d’une course de l’AMA. Et tout le talent de Freddie Spencer n’y fera rien. Le moulin ne tient pas. Malgré un moteur 2X plus affuté que jamais, avec 135 cv (1982), puis 130 cv pour le 3X (1983)… Le sort de la NR 500 est réglé. Au quartier général, on veut des podiums, on veut des victoires, on veut battre les autres. Dès 1982, les NR 500 côtoient leurs remplaçantes NS 500, qui sont des bécanes à deux-temps, dont les excellents résultats auront vite raison du projet New Racing. Dorénavant, les Honda de GP pétaraderont et sentiront le mélange comme leurs copines Yamaha et Suzuki.

Avec de tels déboires, on pourrait aujourd’hui encore facilement se moquer des Honda NR, qui doivent tristement trôner sur le podium des plus grandes louseuses en GP. Mais on est au Japon. Ici pas question de s’en retourner pleurer dans les jupons de la mama, pas question d’aller se faire une petite déprime en solo. Ici on pratique le kintsugi. Le kintsugi est une méthode de réparation des porcelaines et céramiques endommagés remontant au XVè siècle ; le principe est aussi simple que positif : l’artisan recolle les morceaux du bol à thé brisé à l’aide d’une laque d’or, les réparations bien visibles embellissent l’objet et lui donnent encore plus de valeur. La fin ne signifie plus la fin mais le début d’une nouvelle vie qui prend en compte les accidents de la précédente dont on se sert pour enrichir la suivante. Activité mécanico-philosophique, le kintsugi colle assez bien à la situation. La mort de la branche New Racing donne naissance à deux nouvelles ramifications dans l’arbre généalogique Honda : les rameaux NR et V-Four.

Avec toutes les galères rencontrées tout au long du projet New Racing, croyez moi, les ingénieurs de chez Honda en ont appris long sur l’architecture V4 et ils connaissent les principes et les possibilités du quatre-temps comme personne. Pas étonnant donc que cette expérience, aussi malheureuse soit-elle, serve à développer une famille de moteurs plus conventionnels. Dès le début des années 80 les Honda à moteur V4 débarquent sur le marché. Et le jeune rameau de devenir un véritable arbre à part entière au sein de la marque. Une fois affranchi des problèmes structurels liés aux pistons ovales et bénéficiant des connaissances poussées acquises grâce aux machines de GP, le V4 Honda va devenir un véritable standard de performance et de fiabilité qui équipera pléthore de machines : VFS (routière), VFF (routière sportive), VFC (custom musclé) et surtout l’incontournable VFR - véritable best-seller de la marque qui figure encore au catalogue aujourd’hui.

Dans les années 80 et 90, une VFR (750, puis 800) vous propulse à la vitesse d’un cheval cabré sur blason jaune tout en étant capable d’aligner le kilométrage d’une brique suédoise. Et le sport n’est pas en reste, puisque Honda réussira finalement à faire briller ses V4 en compétition. Les RS (750, 850, 1000, dérivées des VFF de route), RVF750, RC30 et RC45 (issues des VFR de route) s’illustreront à plusieurs reprises en endurance, avant d’enfin revenir en GP au début des années 2000 avec la série RC.

Et comme le géant rouge n’aiMe pas la défaite, il a décidé que tôt ou tard les lettres NR brilleraient au firmament du royaume de la brêle mythique. Pas question donc de laisser le rameau du piston oval mourir sans avoir connu au moins une fois sakura. Le développement du moulin maudit continu donc malgré tout et Honda aligne une surprenante RC40 aux 24H du Mans 87. Comme d’habitude elle ne finit pas la course mais, contrairement à ses aïeules, elle impressionne aussi bien le public que les autres concurrents. La RC40 est très rapide avec son 750 cc à pistons ovales qui dépote 150 cv pour une moto qui pèse seulement 145 kg (le standard à l’époque se situant plutôt autour de 135 cv) et si sa carrière en compétition s’arrête là, elle engendrera par la suite une NR750 / RC40 de route qui couronnera l’aventure avec panache.

1991, Honda claque sa NR750 à la face du monde et plus particulièrement à celle de ceux qui jadis l’avaient surnommée Never Ready. Entre prouesse technique et joli coup de pub, la moto s’affranchi des codes du race-replica alors en vigueur. Plus orientée routière à grande vitesse que sprinteuse évadée d’un paddock, la NR750 revendique le succès de la gamme VFR et s’abstient du moindre clin d’œil aux malheureuses 500 de GP. D’ailleurs Honda ne prend pas non plus le risque de lancer ce modèle dans une grande carrière industrielle. Si le V4 à pistons ovales semble enfin abouti et fiable, il faut se souvenir des déboires qui ont jalonnés son développement et imaginer le coût industriel de production d’une telle pièce d’ingénierie - sans parler de sa maintenance dans le cas d’un éventuel usage quotidien. Non non non, chez Honda on a compris la leçon. La NR750 est une vitrine technologique / machine de prestige / futur collector / point barre. Avec plus de 220 kg sur la balance et « seulement » 125 cv, elle joue la carte de la sagesse, enfin aux yeux de ceux qui connaissent le potentiel rageur de cette mécanique, pour les autres il s’agit d’une sportive plutôt affutée. Les ingénieurs ont dû redoubler d’effort pour civiliser le V4 et ses gros pistons ovales, merci aux technologies moderne d’injection électronique  (PGM-FI) et de cartographie d’allumage complexe de l’ère post-micro-informatique. N’empêche, entre une puissance max atteinte à 14,000 tours, une ligne digne d’un prototype, une finition à faire pâlir un contrôleur qualité de chez Porsche et une vraie rareté, Honda joue la seule carte qu’il fallait jouer pour conclure l’aventure en beauté : celle de l’envie et de l’exclusivité. Produite à seulement 322 exemplaires et étiquetée 375,000 F (soit environ 57,000 €), en 1992 quand la NR750 débarque sur le marché elle est d’emblée réservée à une clientèle passionnée et fortunée. Son but n’est pas de rapporter de l’argent à Honda, mais plutôt de la notoriété. il faut la voir un peu comme le pendant moto de sa grande sœur à quatre roues NSX, mais la comparaison s’arrête là, elles n’auront pas la même carrière. Sa mission est de démontrer le savoir-faire de la marque et de tirer son image vers des sphères plus prestigieuses. D’ailleurs la com de l’époque insiste sur les 200 et quelques dépôts de brevets que renferment les entrailles de la bête. Et histoire d’enfoncer le clou, une machine préparée est glissée sous les fesses du pilote de GP Loris Capirossi et s’en va faire un tour sur l’anneau de vitesse de Nardò. Avec 155 cv pour 180 kg, miss NR se paye le luxe de faire tomber quelques records. Elle frôle les 300 km/h au kilomètre et au mile lancés (respectivement 299,825 km/h et 299,788 km/h exactement), le mile départ arrêté est franchi à 221,219 km/h et les 10 km départ arrêté à 283,851 km/h. Malheureusement, les acquéreurs des quelques 34 exemplaires vendus en France n’ont droit qu’à une NR bridée à 100 cv, législation oblige. Équipée d’arbres à came spécifiques et d’une injection re-programmée, la NR française ne s’appelle plus RC40 mais RC41 … Ce qui en fait une rareté parmi les raretés. Pour la petite histoire, chaque Honda NR750 est livrée avec un porte-clé en argent massif.

Malgré sa grande rareté, la NR750 n’a pas vu son prix s’envoler. J’ai bien vu passer quelques estimations à six chiffres mais les résultats de ventes aux enchères tournent plutôt autour de 55,000 €. C’est à la fois cher et décevant quand on sait à quel point cette machine est collector. N’empêche, une fois qu’on connait son histoire, s’en procurer une, pas encore assemblée, dans sa caisse d’origine (il y en a encore) et avec son porte-clé en argent… Ça doit faire quelque chose.

Un jour un vieux sage a dit qu’on apprend plus de ses échecs que de ses victoires. En fait le proverbe dit exactement : on apprend peu par la victoire, mais beaucoup par la défaite. Et comme par hasard, c’est un proverbe japonais. Si dès le départ, l’aventure New Racing sent les emmerdes à répétition, si les NR500 resteront des perdantes éternelles aux yeux de nombreux, on ne peut pas fermer les yeux sur l’incroyable pari technologique engagé. Aujourd’hui quelle marque oserait se lancer dans un tel programme ? On ne peut pas non plus fermer les yeux sur le potentiel de ce cœur à pistons ovales, ses envolées rageuses et sa puissance. Koichi Yanase et Soichiro Irimajiri ont ouvert la boîte de Pandore du quatre-temps et malgré tous leurs efforts ils n’ont jamais réussi à maîtriser la puissance du monstre qu’ils ont engendré. Mais en bon japonais qui se respecte, ils ont étés sages et ont su exploiter leurs échecs pour donner naissance à deux icônes fortes de cette époque : la lignée VFR et la superlative NR750 - véritable graal pour les collectionneurs de la marque ailée, tant ses gènes puisent dans la philosophie de son fondateur, son aversion pour le deux-temps et sa passion pour la technologie.

Texte : Thierry Vincent 

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