07 juin 2020

1990 Jean Alesi et Ayrton Senna à Phoenix, dans les coulisses d'une des plus belles bagarres de la F1

Ce 11 mars 1990 a lieu le Grand Prix des USA à Phoenix. On s’attend à un duel McLaren-Ferrari, mais un petit français va surprendre tout le monde par son culot et sa maîtrise. Le jour où petit Jean est devenu grand. 

Retrouvez la version audio ( Podcast de cet article à la fin de cette page )

Un début de carrière en dents de scie 

Jean Alesi, né Giovanni Alesi, fils d’un carrossier automobile d’origine Sicilienne a vite baigné dans les odeurs d’huile et de peinture. Si on connaît tous le pilote si bouillant, entier et sympathique, on connaît moins le parcours de celui qui allait vite devenir le chouchou du paddock. Si la carrière de l’Avignonnais n’a pas été vraiment à la hauteur de son talent brut,  les débuts n’ont pas été simples non plus. 
Si Jean est d’abord passionné par le rallye il commence comme tout jeune pilote par le karting, après une saison réussie en 1982, il s’attaque à la coupe Renault 5 où son style “généreux” fera le plaisir des observateurs. Après un titre en F3 il accède à la F3000, alors considérée à l’époque comme l’antichambre de la F1. Mais après une première saison décevante il est à deux doigts de tout arrêter. Il faudra un conseil de famille, entouré du père et du frère José pour convaincre Jean de continuer en se promettant que si ça ne devait pas fonctionner ce serait sa dernière saison en sport auto. 

Cowboy ou Chameau, Alboreto doit choisir 

Jean file chez Eddie Jordan près de Silverstone pour entamer la saison 1989 de F3000. Sûrement la meilleure année de la carrière du jeune français avec le titre, 3 victoires, une participation aux 24 heures du Mans et un appel d’un certain Ken Tyrrell. Michele Alboreto étant soutenu par Marlboro, il ne peut courir dans une Tyrrell aux couleurs de Camel. Alboreto choisi le cowboy à la place du chameau, ce sponsor à qui il doit toute sa carrière. Oncle Ken se met à chercher un pilote. Eddie Jordan toujours à l'affût d’une bonne affaire accepte de prêter son protégé après un deal dont il garde le secret. 

Le coup de fil inattendu 

Cinq jours avant le grand prix Jean est tranquillement chez lui quand le téléphone sonne : “Bonjour est ce que vous pouvez venir cette après midi en Angleterre chez Tyrrell? “ A son arrivée Ken Tyrrell prononcera seulement ces mots, synonymes de changement de vie pour Jean : ”vous avez apporté une combinaison pour mouler votre siège pour le grand prix de France?”  et c’est dans la précipitation que Jean Alesi rejoint le circuit Paul Ricard pour son premier grand prix de F1. Il finira 4ème, occupant même pendant quelques tours la seconde place, ce qui au volant de la modeste monoplace anglaise est un bel exploit. A la fin de la saison Jean signe un contrat pour 1990. 

François Guiter, fou de rage 

A cette époque François Guiter, est responsable du marketing chez Elf. C’est clairement lui qui fait la pluie et le beau temps sur la F1 française. La plupart sinon tous les pilotes français lui doivent leur carrière. Seulement voilà il déteste au plus haut point Jean Alesi. Il prend d’ailleurs un malin plaisir à savonner la pente au jeune d’Avignon dès qu’il en a l’occasion. Quand Guiter voit le nom de Jean Alesi sur la feuille des engagés du Grand Prix de France, il est fou de rage. Il va voir Ken Tyrrell et lui dit “Mais il fallait me le dire que tu avais besoin d’un pilote français. On en a plein, et des bons. Parce que là, franchement, tu n’as pas pris le meilleur”. L’anecdote sera racontée le lendemain à Jean Alesi par son patron. A l’arrivée de la course, Jean termine à une incroyable 4ème place. Ken Tyrrell fonce voir Guiter, hilare, et lui dit “Ecoute François, la prochaine fois que j’aurais besoin d’un pilote je te demanderai conseil. Et j’en prendrais un autre !!”. 

Le jour où petit Jean est devenu grand. 

La première course de la saison 90 se déroule à Phoenix, Arizona. J’aurais pu dire sur le circuit de Phoenix, mais disons le franchement ça ressemble à tout sauf à un circuit. Tracé dans les rues de la ville, avec des angles droits pour virages, il n’est pas resté dans les annales de la discipline. 

Des qualifications réussies grâce aux Pirelli 

Dès les essais Jean se fait remarquer en décrochant une belle 4ème place sur la grille au volant d’une Tyrrell bleue et blanche quasiment vierge de tout sponsor. Même si la performance est saluée, on dit à qui veut l’entendre que c’est un peu grâce aux excellents pneus Pirelli très à l’aise en qualifications. D’ailleurs Pierluigi Martini offre ce jour là à Minardi la meilleure qualification de son histoire en se plaçant en première ligne aux côtés de Berger. A cette époque il n’y a pas encore de manufacturier unique en F1 et les différences entre les Good Year et les Pirelli amenèrent parfois des surprises le samedi. Toujours est il que Jean à l’air d’apprécier l’atypique tracé américain et fait preuve d’une belle confiance le dimanche de course. 

Tee shirt ignifugé, connais pas ! 

Quelques minutes avant le départ de la course, Jean se trouve sur la ligne de départ lorsque son team manager s’aperçoit qu’il n’a pas de tee-shirt ignifugé sous sa combinaison. Jean Alesi, surpris par la question avoue ne s’être jamais préoccupé de ce détail, pourtant obligatoire dans l’équipement du pilote. Un mécano part en courant dans le stand le plus près pour en emprunter un. Arrivé chez McLaren, un membre de l’équipe ouvre une armoire en sort un tee shirt ignifugé brodé aux couleurs d’Ayrton Senna. Jean est équipé, et peut s’asseoir dans sa Tyrrell. 

“Quand j’ai fait le départ à Phoenix, chaque fois que j’en doublais un je rigolais. Quand j’ai doublé Ayrton, je me suis dit que si je pouvais faire un tour devant lui ce serait déjà merveilleux.” Jean Alesi 

Un départ canon 

Alesi sait qu’il peut réaliser une belle course ici, justement grâce aux pneumatiques italiens mais aussi à ce circuit si spécial qui lisse l’avantage de l'expérience. Ca se vérifie au feu vert quand il reste à fond sur “la voie de gauche” et retarde au maximum son freinage pour s’installer en tête au premier virage croisant la trajectoire d’un Berger qui ne s’y attendait pas. Jean Alesi vient de réussir le premier départ canon d’une longue série en F1. L’envol à la catapulte devenant la spécialité du souriant pilote.  

“Ayrton il courrait pour gagner, moi je voulais faire marrer mes potes qui regardaient la télé à Avignon”. Jean Alesi 

Alesi se marre 

Dans sa monoplace, le petit Jean n’en revient pas. Il déclare plus tard “A la fin du premier tour j’étais comme un fou. Je venais de mener un tour en grand prix. La seule chose à laquelle je pensais c’était de savoir si mes potes d’Avignon étaient devant leur télévision.” Jean finit le premier tour en tête, puis le deuxième et à chaque tour, grappille un peu d’avance sur le brésilien. L’écart entre les deux hommes finit par atteindre 8 secondes au dixième tour, puis 10 secondes au quatorzième. 

“Ma voiture était 20 ou 30 kilos plus légère grâce au V8, et les Pirelli étaient capables de faire toute la course”. Jean Alesi 

Ron Dennis patron de McLaren affiche un visage fermé. Difficile d’admettre qu’une modeste Tyrrell occupée par un quasi débutant tienne la dragée haute à son pilote. 

Alesi imprime son rythme

Ayrton Senna envisage à un instant de s’arrêter pour chausser d’autres pneus tant il peine à revenir sur son rival d’un jour. Il faudra attendre quelques dizaines de tours, que sa monoplace retrouve un peu d’adhérence en perdant le poids de l’essence consommée,  pour que la différence de puissance se fasse sentir. Senna repointe son nez derrière la boîte de vitesse de la monoplace bleue. Quand l’homme au casque jaune fait l’intérieur à Jean,  le sort de celui ci semble scellé. Mais dès le changement de direction suivant le Français reprend son bien aussitôt !

La jonction est faite 

 Dans les stands, tout le monde reste bouche bée devant l’insolence du jeune pilote se permettant de dépasser sa majesté Senna sans même un regard. A ce moment là personne ne pense une seconde que le jeune intrépide va garder cette place plus de quelques centaines de mètres. Quelques virages plus loin, Senna déboîte en bout de ligne droite et se retrouve une nouvelle fois à hauteur de la frêle Tyrrell. La messe est dite, Senna va finir tranquillement ce grand prix à un rythme de sénateur à la place qui lui est due? La pugnacité et la rage intérieure de Jeannot semblent en décider autrement ! 

Bagarre d’anthologie 

Dès le virage d’après Alesi rend la monnaie de sa pièce au Brésilien et reprend la tête de la façon la plus virile qui soit. On imagine Ayrton furibond sous son casque, navré de se voir chahuté par une écurie de fond de grille. En fait, il semblerait plutôt que celui ci apprécie la petite bagarre et se prenne au jeu du “je te double, tu me redoubles”. Le duel est lancé et se joue au centimètre près tant les deux monoplaces sont proches de se toucher par moment. Les deux pilotes sont seuls au monde, bien loin devant la troupe de poursuivants. Les deux compagnons d’échappée ne vont pas s’ennuyer. On se croirait revenu au temps du duel Villeneuve-Arnoux à Dijon en 1979. Avant chaque virage Ayrton déboîte pour doubler Jean, y parvient parfois mais se fait systématiquement repasser par la virevoltante monoplace anglaise. 

Ken Tyrrell revit 

Sur le muret des stands Ken Tyrrell est totalement hilare, à chaque dépassement il éclate de rire. Son écurie est très loin de son faste d'antan et il ne dissimule pas son plaisir de voir sa jeune recrue défier ainsi le meilleur pilote du monde. 
Jean Alesi avait pris le départ en pneus intermédiaires, à vrai dire la logique veut que quand on part devant on chausse des pneus tendres  mais  il n’avait pas prévu de se retrouver en tête et donc de jouer la performance. Néanmoins si ses pneus un peu plus durs lui ont permis de tenir pendant quelques dizaines de tours, le rythme infligé a raison de leur adhérence et Senna prend la tête cette fois ci pour de bon. Non sans mal, Jean tentant coûte que coûte de l’en empêcher.  Les deux compagnons reviennent sur les retardataires et à l’entrée de certains virages c’est à 4 de front que la course se joue!  On apprendra plus tard que depuis plusieurs tours Ken Tyrrell hurlait dans la radio d’Alesi, lui réclamant d’assurer les points de la seconde place synonymes de rentrée d’argent pouvant assurer l’avenir de Tyrrell. Le légendaire patron Anglais s’est bien amusé mais maintenant il faut ramener la voiture entière. 

Parc fermé 

Arrivé au parc fermé, Jean Alesi rejoint Senna. Le brésilien a passé un bon moment, et il vient saluer et féliciter le jeune Avignonnais. Alesi baisse le zip de sa combinaison et se rend compte que le tee shirt ignifugé qu’il porte est brodé aux couleurs de Senna. Il le montre à Senna “C’est normal que je sois rapide aujourd’hui, regarde ce que je porte”. 
Ayrton devient blême. Il harcèle le jeune français de questions  “Mais tu as eu ça où?, qui t’as donné ça? Un mécano? Lequel? Il s’appelle comment?”. 
Senna était extrêmement croyant et faisait bénir toutes ses affaires de courses. Voilà comment gâcher le podium d’un triple champion du monde. Senna ne lui en voudra pas, et les deux hommes conserveront un respect mutuel immense. C’est ça les vrais champions. 

Alesi parmi les grands 

Ken n’en revient pas. son poulain vient de finir en seconde place. Après avoir savamment arrosé le petit Français de champagne, il lui rendra hommage en conférence de presse d’après course  en saluant la belle course du pilote Tyrrell et lui promettant un bel avenir. Ayrton ponctuant par “c’est ainsi que la course doit être, merci Jean”. Ce jour là Jean, Adoubé par le roi Senna est devenu prince de Phoenix et ainsi le pilote avec qui il faudra compter. 


Les deux pilotes se retrouveront en principauté de Monaco quelques semaines plus tard pour un autre doublé dans le même ordre. 
Cette course aura également marqué les patrons d’équipes et notamment Sir Franck Williams qui s’empressera de faire signer un pré-contrat à l’Avignonnais pour l’année suivante. Jean ne conduira pourtant jamais de Williams. Franck devait signer le contrat définitif avant le GP de France, mais ça ne se passera pas comme ça. Mais ça c’est une autre histoire. 

Nicolas Laperruque 

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