23 juin 2020

Svetlana et la Yugo

C’est l’histoire d’un voyage presse, un de mes premiers, il y a quelques années. Un de ces voyages où on a un peu le temps de visiter, ce qui n’existe plus aujourd’hui. J’étais parti essayer la gamme Dacia. Mais on est jamais à l’abri d’une belle rencontre, surtout en Croatie. 

Retrouvez la version audio ( Podcast de cet article à la fin de cette page )


Roissy 

C'est remonté comme une pendule que je monte dans le premier train du matin partant de ma chère Normandie en direction de Paris. Celui qui part parfois à l'heure et arrive invariablement en retard. Après un Trajet en RER B effectué debout et facturé au prix d'un bon resto j'arrive enfin au terminal des vols cheap. Le fameux terminal 3 de Roissy CDG. Je me moque mais j'adore cet endroit. Je suis fasciné depuis toujours par ce hall sans âme synonyme d'allers et venus. Je suis capable de rester assis des heures en regardant les voyageurs. Où va cet homme avec son sac? Qu'est ce que se disent les amoureux qui s'embrassent devant le checking d'embarquement ? pourquoi les douaniers arrêtent et fouillent ce mec et laissent passer les autres ? Y’a vraiment des gens qui montent dans des avions dont on n’arrive pas à lire le nom de la Compagnie? Certes au terminal 3 il manque ces tableaux géants indiquant des centaines de départs aux 4 coins du monde, synonymes de destinations de rêve et d’activité frénétique.  Ici ils sont remplacés par un petit écran télé. Nous ne sommes pas nombreux ce matin à attendre notre vol privé ou à descendre d’un vol charter. 
 Dans les aéroports il y a ces boutiques duty Free. Des camions de cartouches de clopes, les chocolats Toblerone, cette odeur de parfumerie, les affiches Chanel numéro 5. Les magasins ça me gonfle en temps normal mais ici j'ai envie de tout regarder. Dans les boutiques duty Free y'a toujours un mec qui dit "c'est vachement moins cher" ou encore "je vais pas l'acheter ici je vais attendre d'être au Maroc je suis pas con" . J'adore les phrases définitives des acheteurs de duty Free.  Ce matin je ne m’attarderais pas à feuilleter tous les magazines auto du Relay avant d’en choisir un ou deux pour le voyage comme j’en ai l’habitude. Magazines que je ne lirai qu'à mon retour tant les voyages presse sont intenses et ne laissent que peu de place au farniente. 

Ma mission, trouver une Yugo 

Ces essais vont être le prétexte d’une chasse au trésor, Je veux une Yugo, de préférence en bon état, vintage comme il faut et dans une version rare si possible.
Nous partons à l’aube avec Rémi de l’excellent site Planet Renault et choisissons de nous atteler à la plus grosse boucle proposée ce matin par le service de presse Renault. Il s’agit de parcourir 100 kilomètres au départ de Šibenik via Trogir en partant vers le Sud. La Croatie c’est un carrefour géographique, géopolitique et culturel. Entre Europe centrale et méditerranée, entre traditions et modernité et pour notre parcours du jour entre mer et montagne. 

Le parc auto dévoile lui aussi un contraste saisissant. Dès les premiers mètres de notre périple, nous croisons deux Lada Niva, vestiges d’un passé pas si lointain, plusieurs Fiat 126, très populaire dans le pays, des Mercedes neuves, de l’européenne en pagaille et une implantation non négligeable de Hyundai Kia. Pour résumer la faune locale je dirais qu’on a un parc très semblable au nôtre mélangé à un musée sur routes ouvertes comprenant curiosités locales, des Fiat, et des Renault 4L. J’avais pas vu autant de 4L depuis mon enfance ! Des épaves, des retapées avec les moyens du bord ou des modèles consciencieusement conservés en état d’origine. Après plusieurs kilomètres parcourus en ville et sur la côte je croise une Yugo. Le rythme imprimé par mon collègue d’un jour et moi ne nous laisse guère le temps de faire demi tour. Occasion manquée . J’en croiserai quelques unes dans la matinée mais soit trop tard, soit trop banales, soit trop abîmées.

Rentrer bredouille? Impossible 

Le réseau routier est absolument irréprochable. Tous les enrobés sont neufs. Ce qui frappe ici c’est la beauté des paysages et la nature préservée. La région est très touristique mais les Croates ont su éviter les constructions démesurées des fronts de mer européens. La route est déserte,  cette affirmation doit être moins vraie en été. Les lacets se succèdent à un rythme soutenu me rappelant les routes des Alpilles.  La journée d’essai passe vite et c’est bredouille que je rentre à Šibenik. Les appels de phare d’un autochtone me sortent de mes pensées et c’est debout sur le frein que je pénètre dans la ville. Voilà, vous saurez qu’ici non plus on ne rigole pas avec la loi. Sachez d’ailleurs qu’en croatie on vous demandera de rouler en codes d’octobre à Mars.  Alors que je me dirige vers l’hôtel où je m'apprête à rendre les clés de ma Sandero Stepway, le miracle se produit. J’ai fait 250 kilomètres depuis ce matin et le graal se trouve à 500 mètres de l’hôtel.  Garée sagement sur un parking désert,  elle n’attend que moi, la Yugo! 

Elle est là, la Yugo 

Une Zastava 101, rouge. Ce modèle du constructeur Serbe fut en son temps le premier modèle développé en interne par Zastava. Certes on devine l’ombre de sa cousine la Fiat 128 dont elle est étroitement dérivée. Mais son coffre à hayon réclamé par la clientèle des Balkans pour transporter des objets encombrants, ses quatre roues indépendantes et son moteur moderne à courroie crantée disposé transversalement faisaient de ce modèle une vraie révolution technologique en 1971. Alors que je gare ma Roumaine et que je commence à tourner autour de ma trouvaille du jour, résonne derrière moi une voix féminine. Elle est là, visiblement furieuse que je tourne autour de son carrosse, la propriétaire. Contraste là encore entre le ton employé et la beauté des traits de la beauté slave qui court vers moi. 

Svetlana 

Après avoir expliqué à Svetlana l’objet de ma curiosité, celle ci commence à m’expliquer l’histoire de cette voiture. C’est la troisième Zastava de la belle. Depuis qu’elle a le permis Svetlana refuse de conduire autre chose que ce modèle. N’allez pas croire que la blonde vit dans le passé, c’est plutôt une trentenaire bien dans son époque, qui visiblement dépense plus en robes et manucure que dans les bagnoles.  Ça ne l’empêche pas visiblement d’être passionnée puisqu’elle commence à  énumérer les évolutions et l’histoire de la Zastava. Le modèle au rouge patiné qu’elle conduit tous les jours de l’année est de 1976. Son année de naissance, “on a le même âge! Ça ne se voit pas trop j'espère? “ Non ne t'inquiète pas Svetlana tu ne les fait pas. 

Patinée, mais pas trop 

Comme Svetlana la “Skala 55”est entièrement d’origine. La peinture délavée est délicieusement vintage, le moteur cumule 135 000 kilomètres sur les routes Croates sans intervention majeure. Quand je lui demande pourquoi elle ne roule pas dans une voiture moderne, Miss Croatie semble s’étonner de ma question. “C’est la meilleure voiture au monde! Et j’adore son style! Le gros avantage c’est que les pièces ne valent rien. N’importe quelle panne se traduit par une poignée de dollars. Rien ne vaut cher dessus. Si un jour le moteur vient à céder j’en trouverai un bon dans la journée. J’ai des amis qui sont capables de la démonter entièrement les yeux fermés et pourtant ils ne sont pas mécaniciens.” La grosse qualité de cet exemplaire c’est l’absence de corrosion. Le climat est sec autour de Split et les voitures entretenues peuvent durer dans le temps. “C’est une bonne base. J’en ai déjà eu 2 avant celle ci, en moins bon état et je sais que celle ci ne me lâchera pas. C’est inusable.” 

Irrésistible 

Je ne sais pas si c'est la conséquence des beaux yeux de Svetlana ou de la passion touchante qu’elle voue à son bolide rouge mais je crois que je suis en train de tomber amoureux. De la bagnole, du pays, de la conductrice au visage poupon. 
Svetlana porte ses yeux couleur Adriatique à son poignet. Ça fait une petite demi heure qu’on parle! Visiblement affolée, je comprend qu’elle est sur le temps du travail et doit retourner dans le petit bâtiment de bureaux d’où elle était sortie. 
Svetlana m’autorise à parler d’elle et de sa voiture mais refuse poliment une photo “pas besoin. Tu as peur de m’oublier ?” 
L’heure est venue de repartir vers l'aéroport. Je ne sais pas si j’aurai la possibilité de revenir dans ce doux pays dans les prochaines années. Je ne croiserai surement pas de Yugo dans cet état avant longtemps, et non, je n’oublierai pas Svetlana. 

 

 

Nicolas Laperruque 

Photos : Road-Story

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