13 avril 2022

Pablo Emilio Escobar, le narcos pilote de course ... de Renault 4 et de Porsche 911

 

L'histoire commence en 1966, avec l'importation en Colombie d'une voiture française utilitaire et basique appelée Renault 4. Un concessionnaire automobile Colombien (Auto Andes) importe alors cette auto de l'usine Fasa-Renault Espagnole. Mis à part sa ressemblance avec un cube, la 4L était une auto fiable et abordable qui a permis aux classes moyennes émergentes Colombiennes de découvrir le bonheur de l’automobile. Au cœur de la stratégie commerciale de Renault en Colombie figurait la participation à des courses tel que le Rallye de Colombie. La petite 4L était ainsi amenée à sillonner le pays sur des routes dangereuses, démontrant son agilité et sa capacité à passer partout. Les Colombiens furent convaincus par la courageuse petite française, et surtout l’un d’eux lui trouva beaucoup de qualités. 

 

Le lundi 28 mai 1979, le journal colombien « El Tiempo » publie un reportage sur la course de la Copa Renault (4 L) qui s'était déroulée ce week-end-là. A la fin de l’article, une courte mention illustre une photo : « les nouveaux arrivants, Lucio Bernal, de Bogotá ; Pablo Escobar, Gustavo Gaviria et Juan Yepes, tous originaires de la capitale d'Antioquia. » La première apparition dans les médias colombiens de Pablo n'avait rien à voir avec le trafic de drogue, le meurtre ou la violence politique.  C’est bien à ses débuts en tant que pilote de course au volant d’une Renault 4 que sa première citation dans la presse fait référence.

Par la suite le journal a continué à citer Escobar dans les comptes rendus des courses du reste de la saison. Bien qu'il n’ait débuté le championnat qu’en cours d’année et n'ait participé qu'à six courses, à la fin de la compétition Copa Renault 1979, Escobar est second au classement. Conduire à toute vitesse lui plaisait. D'après le livre 'El Patron. Vie et mort de Pablo Escobar’, de Luis Cañón, la plupart du temps, avant de courir, « il fumait une dose modérée de marijuana pour activer sa perception, ses sens et son niveau de concentration ».

Pour les spectateurs naïfs, parfaitement inconscients des activités d'Escobar, il pouvait sembler que Don Pablo avait du talent pour le sport automobile. Pour les autres, son classement sur le podium était tout à fait prévisible. Alors que les articles de l'époque étaient lyriques sur ses capacités de pilotes, aucun ne faisait mention d’un point capital. Les autos de cette coupe devaient toutes avoir les mêmes spécifications techniques et donc avoir des performances égales. Pour paraphraser une citation célèbre de « La ferme aux animaux » de Georges Orwell, toutes les voitures de la coupe étaient égales mais la voiture de Pablo était un peu plus égale que les autres. À plusieurs reprises, il fut dépassé par d’autres concurrents dans les parties sinueuses, mais il les repassait miraculeusement dans les lignes droites. Sans surprise, l'interprétation d'Escobar de l’équité technique n'a jamais été contestée et aucune tricherie n'a jamais été relevée.

Les comportements « borderline » de Don Pablo pour gagner les courses ne s’arrêtaient pas au périmètre des circuits. Lors d'une course, le patron du cartel aurait utilisé ses relations avec la police locale pour empêcher ses rivaux d'atteindre le circuit. Il avait aussi une autre façon de tenir la concurrence à distance. Il avait sa « garde rapprochée « sur la piste. Il avait engagé dans la Copa son cousin Gustavo Gaviria.  Mais au-delà de la famille, ses « amis-concurrents » s'étendaient aussi à ses « amis » narcos, les frères Ochoa, avec qui il dirigeait le célèbre cartel de Medellín. Fidèle à l'image d’homme excessif qu'il incarnera plus tard, la présence de Don Pablo sur un meeting de course auto était un spectacle en lui-même. Luis Canon raconte :  "Il était le seul à arriver en hélicoptère", « Mais après la course, il offrait à tout le monde un repas somptueux arrosé de champagne et entouré de femmes magnifiques » Il conclut : » Je me demande si quelqu'un croyait vraiment qu'il ne vendait pas de drogue ».

La fortune d'Escobar ayant commencé à croître considérablement dans les années 80, son appétit pour la course automobile de haut niveau crût de façon parallèle. Bien qu'il ait commencé sa carrière dans le sport automobile avec une Renault 4 de 24 chevaux, il n'a pas tardé à rêver à des machines plus puissantes et plus efficaces. En achetant par exemple une Porsche 911 RSR de 1974 ex-Emmerson Fittipaldi.  Le baron du cartel participa alors à d'autres courses en Amérique du Sud ainsi qu’à des courses de côte organisées dans sa ville natale. C'est au cours de l'un de ces événements qu’Escobar rencontra Ricardo Londoño lui aussi natif de Medellín. Ricardo Londoño est alors reconnu comme l'homme le plus rapide de Colombie et le coureur le plus prometteur du pays.

Mais revenons à la course de « Las Clapping ». La légende raconte que Ricardo Londoño, très sûr de lui, a parié un million, qu'il finirait la course de Medellín avec au moins quinze secondes d'avance sur Pablo. Comme on peut le supposer cette déclaration fit beaucoup de bruit à Medellín. La course se déroula par un beau dimanche ensoleillé et « Cuchilla » (le surnom de Ricardo Londoño) réalisa sa montée en neuf minutes et 45 secondes, soit huit secondes de moins qu'Escobar. Le « Boss of evil » avait remporté son pari. « Ce jour-là, j'étais très heureux. Il y avait un pari juteux en jeu, que j'ai gagné dans un combat régulier », déclara Escobar.

Après cette courte compétition, son association avec Ricardo Londoño allait pouvoir commencer, marquant un tout nouveau chapitre dans la carrière de Don Pablo en sport automobile. Après avoir fait ses preuves au volant, du moins à ses yeux, la présence d'Escobar dans une voiture de course n’a plus été qu’un souvenir à mesure que son empire commercial tentaculaire l’accaparait de plus en plus. En cette fin des années 70, la carrière de pilote de Londoño était en plein essor. Ses succès dans les championnats nationaux de stock-car et de moto de vitesse lui valurent le surnom de" Cuchilla ", qui se traduit par « lame de rasoir ». Après ses victoires colombiennes, Il partit aux États-Unis pour courir en IMSA GT. Il réussit même à se classer septième aux 24 heures de Daytona l'année suivante. De l'avis de tous, c’était un pilote à surveiller et destiné à devenir le pilote le plus titré que la Colombie n’ait jamais connu. Alors que le « Escobar au volant « était pratiquement terminé, le patron du cartel tenait toujours à naviguer dans le sport automobile et Londoño s'est avéré être un moyen de le faire.

Finalement, Londoño déménagea en Europe en 1980 avec le soutien de la «National Association of Coffee Growers». Londoño débute à Silverstone avec une ancienne F1 Lotus sur une épreuve du championnat britannique de Formule 1. Loin d’avoir une voiture de haut niveau, Londoño fit de son mieux et termine la course à une respectable septième place. Le talent du Colombien, sans parler du riche sponsor qui l’accompagne, a fait de lui un pilote attrayant pour une équipe de Formule 1 en difficulté. Après avoir perdu leur sponsor majeur « Unipart », les représentants de l'équipe britannique Ensign étaient à la recherche d'argent frais. Les voilà donc parti au cœur de la campagne colombienne invités dans la ferme familiale plutôt luxueuse de Londoño. Le voyage comprend une visite des installations (qui comprenait une piste d’atterrissage) et un délicieux dîner. A l’issu du voyage un accord de coopération est conclu et Londoño signe avec l'équipe pour la saison 1981. Londono manque la première course faute d'avoir la bonne licence et doit attendre la course suivante qui se déroule au Brésil pour réaliser son premier essai en Formule 1. Mais un incident en piste avec Keke Rosberg lors de la première séance d'essai incite Bernie Ecclestone, à se pencher un peu plus sur les financements de Londoño. Ecclestone relie rapidement les bailleurs de fonds du pilote à une entreprise basée à Medellín, dont le propriétaire n'était autre que Don Pablo lui-même. Préoccupés par la divulgation dans la presse d'une connexion aussi peu recommandable entre Londono et le cartel de Medellin, Ecclestone et les organisateurs de la Formule 1 interdirent l'entrée de Londoño au circuit quelques heures avant le départ, sabordant ainsi sa carrière.

Au milieu des années 80, le partenariat entre Escobar et Londoño avait rapproché la Colombie du sommet du sport automobile comme jamais auparavant. Ce n'est que lors de la participation de Juan Pablo Montoya au championnat de formule 1 avec Williams en 2001 que le pays pourra enfin soutenir un champion automobile Colombien. Après s'être fait les dents en roulant avec des Renault 4 miteuses sur un circuit délabré à l'extérieur de Bogotá, Don Pablo s'était retrouvé deux ans plus tard au plus haut échelon du sport automobile mondial. La vitesse à laquelle son implication dans le sport automobile s'est développée correspond au rythme auquel Escobar s'est positionné comme l'un des criminels les plus riches et les plus connus qui ai existé. Le cartel de Medellín gagnait jusqu'à 420 millions de dollars par semaine à son apogée, ce qui plaçait la richesse personnelle d'Escobar à 25 milliards de dollars dans les années 1980. Cela équivaut à environ 79 milliards de dollars d'aujourd'hui.

Mais le sort d'Escobar et de Londoño dans le sport automobile ne fût pas qu’un conte de fées. Comme tout le monde le sait Escobar a été abattu sur un toit de Medellín en 1993. Londoño, lui, déprimé par l'expérience ratée de la Formule 1, fit ses valises et rentra chez lui en Colombie. Il créa alors un commerce de bateaux, d’avions et d’hélicoptères avec presque exclusivement comme clients des narcos et criminels de tous genres. En 2000, les tribunaux colombiens confisquèrent à Londoño pour plus de 10 millions de dollars de voitures anciennes et de biens acquis illégalement grâce au trafic de drogue et à ses liens avec le cartel de Medellín. Malgré l'action en justice, Londoño réussi à échapper à la prison, mais neuf ans plus tard, l’aventure de l’ex-pilote de F1 s’arrêta. Alors qu'il séjournait dans son hôtel de la baie de Cispatá, Londoño et ses deux gardes du corps furent abattus en plein jour par six hommes armés d'un cartel rival, abattant de 12 balles, l'ancienne star de la course automobile.

 

Source : « El Patron. Vie et mort de Pablo Escobar », de Luis Cañón M. Éditorial : Planeta ; Documentaire de Marc de Beaufort, Divina producciones

 

François Bouet

 

Retour
Newsletter
Je m’inscris
à la newsletter