06 janvier 2021

Paris-Dakar 1982 : le jour où le fils Thatcher s’est perdu dans le désert. 

Le Dakar a toujours été considéré comme la course la plus dure au monde. En 1982, il fallait y ajouter l’absence de GPS, des équipes de secours très limitées et une organisation artisanale. Alors imaginez le résultat quand un fils à maman pas bien fin, totalement inexpérimenté et sans aucune préparation se lance dans l’aventure… Cela ne peut que mal se passer. Retour sur un des événements qui ont fait la légende du Dakar.  

La mégère 

à écouter pendant la lecture :

Pour le peuple anglais, l’année 1982 a été marquée par deux grands feuilletons impliquant l’honneur national : la guerre des Malouines et l’affaire du fils Thatcher au Dakar. Dans les deux cas, cela impliquait l'indéboulonnable “Dame de fer”, Margaret Thatcher. Pour les plus jeunes, à l’époque le Royaume-Uni a à sa tête une première ministre. Non seulement celle-ci est aimable comme un contrôleur SNCF sur la ligne Paris-Cherbourg, mais en plus elle a l'habitude de ne rien lâcher. Les mineurs font grève depuis des mois? “Qu’il crèvent!”. Les argentins tentent de récupérer une île perdue dans l'océan Atlantique Sud? “On attaque l'Argentine et on leur met une branlée !” Margaret Thatcher est intraitable, ce qui lui vaudra le surnom de Dame de fer et une anecdote croustillante. En février 1988, après un « vif échange » entre Chirac et Thatcher sur le remboursement d'une partie de la contribution du Royaume-Uni au budget de l'Union européenne, Jacques Chirac alors premier ministre français, pensant son micro éteint, lancera cette magnifique réplique, qui résonnera dans tout le parlement européen de Bruxelles : “Mais qu'est-ce qu'elle me veut de plus cette mégère ? Mes couilles sur un plateau ?” Autant vous dire que la mère Thatcher n’était pas facile et n’était pas du genre à s’émouvoir. Pourtant, une histoire touchant son fils va faire vaciller cette vieille mégère. 

Mark Thatcher, le fils à problèmes 

Margaret Thatcher, premier Ministre du Royaume-Uni a donc deux enfants, dont un fils, “son enfant préféré”, dit-elle elle-même. On peut se demander ce qui anime une mère qui annonce clairement et publiquement préférer un de ses enfants, mais là n’est pas le sujet. D’un côté nous avons donc la fille, Carole. Journaliste, écrivaine, brillante, respectée, qui mène une existence millimétrée, sans faire de vagues. De l’autre, le fils Mark. De l’avis général un branleur, doué d’aucun talent, qui cumule les échecs, les magouilles et utilise volontiers son nom pour tremper dans tous les trafics d’influence qu’on lui propose. On le dit volontiers amoral, corrompu, ingérable. Carole souffre de l’intransigeance de sa mère, tandis que Mark est gâté, protégé, et couvé par sa môman. Mark s’ennuie vite et se trouve donc des passions. C’est comme ça que les fils de riches deviennent pilotes. 

Le “pilote” 

C’est ainsi qu’on verra le fils Thatcher se lancer dans une carrière de pilote. Son palmarés tient en une ligne. Il a participé par deux fois aux 24 Heures du Mans en 1980 et 1981. Un des sponsors de l’équipe, au détour d’une conversation, lui demande s'il serait intéressé par une participation au Paris-Dakar. Le sponsor engage en effet trois Peugeot 504 au prochain Dakar et compte sur le coup de pub pour boucler le budget. Mark Thatcher racontera plus tard : “J’ai dû dire oui, comme ça sans trop réfléchir. Je n’avais qu’une vague idée de ce qu’était le Paris-Dakar. Ensuite, j’ai complètement oublié cette histoire. Jusqu’au jour où ce fameux gars m’a appelé, un an et demie plus tard en me demandant si je pouvais venir le mardi suivant pour le lancement presse du Paris-Dakar. J’ai pas trop réfléchi, je me suis dit que peu de gens avaient l’opportunité de faire ça. Traverser le désert du Sahara était une expérience réjouissante. A l’époque, il ne s’agissait que de la troisième édition, tout était encore à découvrir”. C’est ainsi que le fils Thatcher se retrouve sur la liste des engagés du Paris-Dakar 1982 avec Anne-charlotte Verney comme pilote et Jacky Garnier comme mécano. Mark Thatcher assurant lui, la navigation. Petit détail qui aura son importance pour la suite. Sur la ligne de départ Thatcher fils déclare, plein d’arrogance : “J’ai fait le Mans, le Dakar c’est une formalité pour toi”. 

Aucune préparation 

La suite, vous la voyez venir, évidemment le fils dilettante va s’astreindre à une préparation...limitée. “Je n'ai fait absolument aucune préparation. Rien. J'ai fait une demi-journée de test et le lendemain nous sortions de la place de la Concorde à Paris.”
Voilà notre navigateur qui part sans savoir lire une carte dans une Peugeot 504 break, pas franchement taillée pour franchir des dunes ou passer des bosses. Les premiers jours sont un enfer. La chaleur est insoutenable en journée, les nuits trop courtes et glacées. Dans ce Dakar des débuts, les équipages sont livrés à eux-mêmes. Mark confiera plus tard : “Au bout de deux jours, je me suis dit que tout cela allait certainement très mal tourner”. 

La boulette 

Dans ces conditions, le seul objectif du modeste équipage est éventuellement de terminer la course. Le 9 janvier, sur le tronçon entre Tamanrasset et Timiaouine, l’équipage roule en convoi, entouré d’autres concurrents. Aucune raison de penser que la journée va mal se terminer, jusqu’au moment où la voiture heurte une grosse pierre. L’essieu arrière est arraché, c’est l’abandon. Les autres concurrents qui suivaient la 504 prennent donc les coordonnées de l’endroit pour les communiquer à l’organisation. Laquelle viendra les chercher en leur envoyant dans la nuit, le camion balais, se dit l’équipage.  Mais une erreur va sérieusement compliquer les choses. “A l’arrivée de l’étape, ces connards ont dit à l’organisateur que nous étions 25 km à l’ouest, mais nous étions 25 kms à l’Est.” La vérité, d’après certains témoins, est plus simple : au moment où ils cassent la voiture, l’équipage était déjà paumé, se contentant de suivre les autres voitures, elles-mêmes bien loin de la trace idéale. 

Au milieu du désert 

Premier problème, l’équipage ne dispose pas de grand chose dans la voiture. Chaque soir un camion citerne est présent au bivouac mais pour une raison quelconque, Mark Thatcher “oublie” de faire le plein d’eau la veille. Les trois équipiers de la 504 disposent donc, en tout et pour tout de cinq litres d’eau et de quelques doses de café et de repas lyophilisés. “Nous n’avions aucune idée du temps que cela prendrait. Au petit matin, quand j’ai vu qu’ils n’étaient pas venus nous chercher, on a commencé à se dire que cela pourrait durer quinze jours”. L’équipage sait qu’il reste encore toute l’eau du radiateur. Ils démontent également les pneus de la voiture, afin de les brûler en cas de besoin. Evidemment, pendant ce temps, l’organisation commence à se dire que l’histoire sent mauvais. Le fils de Margaret Thatcher est introuvable, et il faut se rendre à l’évidence : personne n’est capable de dire où il faut chercher. Rapidement, la première ministre Britannique est informée que son fils manque à l’appel. Les jours passent, et Mark ne donne aucun signe de vie. 

Ronald Reagan et François Mitterrand à la rescousse

Margaret Thatcher est effondrée et décidée à utiliser les grands moyens pour retrouver son fiston préféré. Elle commence par appeler François Mitterrand qui affrète trois avions militaires pour partir à la recherche de l’équipage. Le 12 janvier, trois jours après la disparition du fils prodige, le ministre des affaires étrangères, Lord Carrington, écrit  : "Madame la Première Ministre est désormais des plus inquiètes. Elle estime n'avoir eu aucune information fiable depuis 3 jours". 

Du côté de l’organisation, pas de commentaire, sinon que cette disparition commence à se montrer fâcheuse. On mobilise les autorités algériennes pour multiplier les recherches aériennes et terrestres. 
Margaret Thatcher reçoit des messages de soutien du monde entier, et même un appel du président des Etats-Unis, Ronald Reagan. Tout cela accentue évidemment la pression sur le rallye. Il faut sauver le soldat Thatcher. La flotte algérienne composée de quatre avions et d’un hélico rejoint les avions de Mitterrand.  Le père de Mark Thatcher se rend en Algérie pour mettre un coup de pression aux algériens. Les journalistes anglais affluent sur place, l’affaire devient une véritable affaire d’état. 
Pendant ce temps, l’équipage de la Peugeot 504 n’a aucune idée de tout ce drame. Anne-Charlotte Verney, Mark Thatcher et leur mécano attendent au milieu du désert, pas loin d’une mine, qu’on vienne les chercher. 

Maman va envoyer un satellite ! 

Anne-Charlotte Verney racontera plus tard dans le Maine Libre : “À l’époque, il n’y avait ni portable, ni GPS. Au bout de trois jours, nous n’avions plus d’eau, sauf celle du réservoir. Et Mark qui répétait : “Maman va nous envoyer un satellite ! (Ouais on va pas se mentir, Mark Thatcher n'est pas le couteau le plus aiguisé du tiroir). Finalement ce sont les Algériens qui nous ont retrouvés”. 
En effet, une fois que les Algériens se mettent sérieusement à chercher, ils trouvent. Les militaires du pays connaissent le terrain comme leur poche et au moment où ils accueillent le père Thatcher, le discours est clair : “Ne vous inquiétez pas, nous le trouverons demain matin”. Effectivement, après six jours, les militaires mettent leur quadrillage en place. Un avion passe au-dessus des têtes de l’équipage de la 504. Le fils Thatcher tire une fusée de détresse et cinq minutes après, deux Land Rover viennent enfin à leur rencontre. Le père retrouve le fils à l’aéroport, Anne-Charlotte raconte : “Pour la première et dernière fois de ma vie, j’ai vu un garçon de 35 ans prendre un aller-retour vigoureux par son père. Une belle paire de claques !”. 

Maman a réglé la note. 

L’histoire aurait pu s’arrêter là mais c’était sans compter sur la presse Britannique. Après avoir été secourus, Thatcher fils et Verney prennent une pause bien méritée dans un bel hôtel, pour se remettre de leurs émotions. L’alcool coule à flots pendant plusieurs jours, avec à la clé, une très lourde facture. Evidemment, personne n’a d’argent et rapidement la police locale intervient. Le ministère des Affaires étrangères anglais est contacté et on prie Mme Thatcher de bien vouloir régler la note. Évidemment, ce nouvel incident fait tâche et sera relaté dans la presse. Les journalistes en profitent alors pour creuser et tenter de comprendre qui a payé les recherches dans le désert avec tous ces avions militaires. Le gouvernement répondra que les 2000 livres du sauvetage avaient été réglés par Mme Thatcher elle-même. Evidemment, on ne fait pas voler des avions pendant des jours avec une si petite somme. Il était certain que les 2000 livres ne couvraient même pas les frais des militaires anglais envoyés sur place. 

Quitte le pays ! 

Au final cette histoire coûtera cher à tout le monde et ne servira pas les intérêts de la moman. Une situation résumée par une anecdote : “En 1987, alors que le parti conservateur est en pleine campagne électorale pour les élections générales, Mark Thatcher demande à Bernard Ingham, attaché de presse de sa mère, ce qu’il peut faire pour aider celle-ci à gagner les élections. Ingham lui répondra “Quitte le pays!”. 
Mark Thatcher suivra finalement ce conseil. Après de multiples histoires opaques,  on le retrouve en 2005 en Afrique du Sud, où il est condamné à quatre ans de prison avec sursis et une amende pour une tentative de coup d’état en Guinée équatoriale. 

Nicolas Laperruque 

Sources : Le Maine Libre, Ouest-France, le Daily Mirror et le site Dakardantan, LE site du Paris-Dakar
 

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